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LE SECRET

Lucy, dites-moi que cet homme est fou !… Dites-le-moi, ma bien-aimée… ou bien je le tuerai ! »

Sa voix devint furieuse quand il se tourna vers Robert. On aurait dit qu’il voulait réellement terrasser de son bras puissant l’accusateur de sa femme.

Mais milady tomba à ses pieds, s’interposant entre lui et son neveu, qui se tenait appuyé sur le dos d’un fauteuil et cachait sa figure dans ses mains.

« Il vous a dit la vérité, lui dit-elle, et il n’est pas fou. Je vous ai envoyé chercher pour vous faire ma confession. Je vous plaindrais si je le pouvais, car vous avez été bon, très-bon pour moi, meilleur que je ne le méritais, mais je ne le puis…, je ne le puis…, je ne sens rien que ma douleur. Je vous ai dit, il y a bien longtemps, que j’étais égoïste ; je le suis toujours, et plus que jamais quand je souffre. Les gens heureux peuvent s’apitoyer sur le sort des autres. Moi, je ris des souffrances d’autrui… que sont-elles à côté des miennes ? »

Tout d’abord, quand sa femme était tombée à ses genoux, sir Michaël avait essayé de la relever en lui faisant des remontrances ; mais à mesure qu’elle parlait, il se laissa tomber sur une chaise qui se trouvait près de lui. Ses mains se joignirent, et il tendit la tête pour ne pas perdre une syllabe des paroles qu’elle prononçait. Toute sa vie s’était concentrée dans le sens de l’ouïe.

« Il faut que je vous raconte l’histoire de ma vie, pour que vous compreniez comment je suis devenue cette malheureuse femme à laquelle il ne reste plus d’autre espoir que celui de fuir, si on le lui permet, et d’aller se cacher dans quelque coin de terre isolé. Il faut que je vous raconte l’histoire de ma vie, répéta milady, mais ne craignez pas qu’elle soit longue. Cette histoire est trop triste pour que je me plaise à la faire durer. Quand j’étais enfant, il me souvient d’avoir sou-