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DE LADY AUDLEY

« Je racontai à mon père, qui vint enfin, ce que j’avais appris. Il fut vivement affecté quand je lui parlai de ma mère. Il n’était pas ce que le monde appelle généralement un homme sensible et bon, mais j’ai su plus tard qu’il avait tendrement aimé sa femme, et qu’il aurait volontiers sacrifié sa vie pour rester son gardien, s’il n’avait pas été forcé de travailler pour suffire aux besoins de la folle et de son enfant. Là encore la pauvreté reparaissait de nouveau et, à cause d’elle, ma mère était soignée par des mercenaires au lieu d’être entourée des soins d’un mari dévoué. Avant d’entrer en pension à Torquay, mon père me mena voir ma mère. Cette visite chassa du moins les idées qui m’avaient si souvent effrayée. Je n’entendis pas de hurlements, je ne vis pas de camisole de force ni de gardiens cruels. Une femme aux cheveux blonds, aux yeux bleus, s’avança vers nous plus légère qu’un papillon, nous sourit agréablement, et nous montra les fleurs qui ornaient sa chevelure, en babillant d’une voix gaie et rieuse. Mais elle ne nous reconnut pas. Elle en aurait fait autant pour tout étranger qui aurait franchi les portes du jardin où elle se promenait librement. Sa folie était une maladie héréditaire que lui avait transmise sa mère morte folle comme elle. Ma mère avait eu sa raison jusqu’au moment de ma naissance, et depuis lors son intelligence avait baissé de jour en jour jusqu’au moment où elle était devenue ce que je la voyais. Je m’éloignai de la maison des fous après avoir appris ces détails et j’emportai avec moi la certitude que le seul héritage que j’eusse à attendre de ma mère, c’était la folie. J’emportais encore autre chose : un secret à garder. Je n’avais que dix ans, mais je sentis tout le poids de ce fardeau. Il me fallait garder le secret de la folie de ma mère, car ce secret pouvait plus tard me faire du tort. Je ne devais pas l’oublier. Je m’en souvins et ce