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DE LADY AUDLEY

« Le prince déguisé se montra, répéta-t-elle, il se nommait George Talboys. »

Pour la première fois, depuis que sa femme avait commencé sa confession, sir Michaël tressaillit. Il commençait à comprendre. Une foule de remarques et d’incidents oubliés lui revinrent tout à coup à l’esprit et reparurent aussi vivement que s’ils avaient été ceux de sa propre vie.

« M. George Talboys était cornette dans un régiment de dragons, il était le fils unique d’un riche gentilhomme campagnard. Il devint amoureux de moi et m’épousa trois mois après que j’eus atteint ma dix-septième année. Je crois que je l’aimais autant qu’il m’était possible d’aimer quelqu’un, pas plus que je vous ai aimé, sir Michaël, pas autant même ; car, en m’épousant, vous m’avez élevée à une position qu’il ne pouvait me donner. »

Le rêve avait cessé. Sir Michaël Audley se rappela cette soirée d’été d’il y avait deux ans où il avait fait sa déclaration à l’institutrice de M. Dawson. Il se souvint de la sensation pénible de regret et de désappointement qu’il avait éprouvée ce soir-là, et il comprit qu’il avait en quelque sorte pressenti l’angoisse qui le torturait en ce moment.

Mais je ne crois pas que même dans sa souffrance il éprouvât cette surprise indicible, ce revirement complet de sentiment qu’éprouve un mari dont la femme a fait cette faute et devient cette créature perdue qu’il ne doit plus reconnaître. Je ne crois pas que sir Michaël eût jamais réellement donné toute sa confiance à sa femme. Il l’avait aimée et admirée, sa beauté et ses charmes l’avaient ensorcelé, mais il avait un sentiment vague qu’il lui manquait quelque chose, et l’appréhension et le désappointement qui l’avaient frappé au cœur le soir de sa demande en mariage, avaient toujours subsisté en lui plus ou