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DE LADY AUDLEY

pouvait caresser au fond de son cœur. Il savait par sa propre expérience avec quelle facilité on espère en dépit de tout, alors même que l’espoir est mort, et il ne pouvait se faire à l’idée que le cœur de la jeune fille fût forcé d’endurer la même souffrance que le sien en apprenant l’horrible vérité.

« Non, mieux vaut qu’elle espère en vain jusqu’à la fin, se disait-il, mieux vaut qu’elle passe sa vie à chercher à découvrir le sort de son frère perdu que de m’entendre lui révéler l’affreux mystère par ces quelques paroles : Nos craintes les plus horribles sont réalisées, le frère que vous aimez a été lâchement assassiné dans la fleur de sa jeunesse. »

Mais Clara Talboys lui avait écrit pour le prier de venir sans retard dans le comté d’Essex. Comment refuser d’obéir, quelque pénible que fût le voyage qu’on lui demandait de faire ? Et puis le mourant voulait le voir : il serait cruel en se refusant à sa prière et en tardant plus longtemps à se rendre à sa prière. Il regarda sa montre. Neuf heures moins cinq minutes. Il n’y avait pas de train pour Audley qui partît de Londres après huit heures et demie ; mais à onze heures, il en partit un de Shoreditch qui arrivait à Brentwood entre minuit et une heure du matin. Robert décida qu’il prendrait ce train et ferait à pied le trajet entre Brentwood et Audley, c’est-à-dire un peu plus de six milles.

Il avait longtemps à attendre avant que le moment arrivât de quitter le Temple pour se rendre à Shoreditch et il demeura assis au coin de son feu à réfléchir tristement aux étranges événements qui avaient rempli sa vie depuis un an et demi, et qui, s’interposant comme des ombres courroucées entre ses habitudes paresseuses et lui, l’avaient chargé d’exécuter des projets dans lesquels il n’était pour rien.

« Ciel ! se dit-il en fumant une seconde pipe, est-