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LE SECRET

Phœbé, et elle sortit avec soumission en disant à son mari :

« Je ne veux rien entendre, Luke ; mais j’espère que tu ne parleras pas mal de ceux qui se sont montrés généreux envers nous.

— Je parlerai comme il me plaira, lui répondit Marks. Je n’ai pas d’ordre à recevoir de toi ; tu n’es ni le curé ni l’homme de loi. »

Le propriétaire de l’auberge du Château n’avait subi aucune transformation morale sur son lit de mort ; ses souffrances avaient été trop rapides et trop cruelles. Peut-être quelques faibles rayons de lumière, qui n’avaient jamais éclairé sa vie, s’efforçaient-ils de percer faiblement les sombres obscurités de l’ignorance qui remplissaient son âme ? Peut-être quelque demi-rancune, quelque demi-repentir obstiné le portaient-ils à faire quelques rudes efforts pour racheter une vie égoïste passée à boire et à faire le mal. Quoi qu’il en fût, il essuya de la main ses lèvres blanches et, jetant un regard sérieux sur le jeune avocat, il lui désigna une chaise à côté du lit.

« Vous m’avez sondé de toutes les manières pour connaître mes secrets, monsieur Audley, dit-il tout à coup. Vous m’avez tourné et retourné en tout sens, et je n’avais pas lieu de vous être reconnaissant avant l’incendie ; mais je le suis maintenant. La reconnaissance n’est pas mon défaut d’habitude, parce que je n’aime pas que, quand on me donne quelque chose, comme du gibier, de la soupe, de la flanelle, du charbon, on aille ensuite le crier sur les toits ; j’aurais voulu les envoyer au diable, mais un gentleman comme vous, qui se jette dans le feu pour sauver une brute comme moi, mérite bien qu’on lui dise au moins merci avant de mourir. Je vous remercie donc, monsieur Audley ; car je vois à la figure du docteur que je n’ai pas longtemps à vivre. »