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LE SECRET

volée depuis sept ou huit ans, et je ne pouvais pas auparavant me rappeler le quantième du mois. Une femme qui travaille à la journée ne se souvient pas de ces bagatelles. »

Luke Marks haussa les épaules d’un air contrarié.

« Pourquoi l’avez-vous oublié, dit-il d’un ton bourru, ma mère, je vous avais dit de vous en souvenir. Ne vous avais-je pas prévenue qu’un temps viendrait où il vous faudrait servir de témoin et jurer sur la Bible. »

La vieille femme secoua la tête de nouveau.

« C’est probable, puisque tu le dis, Luke, mais je n’en ai pas la moindre idée ; j’ai perdu la mémoire il y a neuf ans, monsieur, ajouta-t-elle en se tournant vers Robert, et je ne suis qu’une pauvre créature. »

M. Audley plaça sa main sur le bras du malade.

« Marks, dit-il, n’ennuyez pas votre mère avec vos questions. Je ne veux rien savoir… je ne veux rien entendre…

— Et si je veux parler, moi, s’écria Luke avec énergie, si je ne veux pas mourir avant d’avoir révélé ce secret pour lequel je vous ai fait venir. Je vous ai fait venir pour cela, pour tout vous dire à vous et non pas à elle… Oh ! non, pas à elle, j’aurais mieux aimé mourir dans le feu, dit-il en grinçant des dents. Je lui ai fait payer ses insolences, je lui ai fait payer ses grands airs et ses manières, mais elle n’a rien su. Je la tenais dans mes mains et j’en profitais, j’avais mon secret qu’elle ignorait, et elle me payait pour me taire ; mais elle me traitait avec tant de mépris, moi et les miens, que, m’eût-elle payé vingt fois plus, c’eût été comme si elle n’avait rien fait.

— Marks… Marks… au nom du ciel, dit Robert sérieusement, soyez calme, quel est ce secret que vous cachiez à lady Audley ?

— Je vais vous le dire ; ma mère, donnez-moi à boire, dit Luke, essuyant ses lèvres desséchées.