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DE LADY AUDLEY

Je ne dis pas que Robert Audley fut un poltron, mais j’avoue qu’un frisson d’horreur, ressemblant beaucoup à de la peur, lui glaça le sang en lui remettant en mémoire tous les forfaits commis par des femmes depuis le jour où Ève fut créée pour servir de compagne à Adam dans le paradis terrestre. Si l’infernal talent de dissimulation de cette femme allait être plus fort que la vérité et le briser lui aussi ? Elle n’avait pas épargné George Talboys quand il s’était trouvé sur son chemin et l’avait menacé d’un danger quelconque ; l’épargnerait-elle, lui qui la menaçait d’un danger bien plus terrible ? Les femmes ont-elles autant de pitié et d’amour que de grâce et de beauté ? N’a-t-il pas existé un certain Mazers de Latude qui, ayant eu le malheur d’offenser la belle madame de Pompadour, expia par un emprisonnement à vie cette folie de jeunesse ? Il s’échappa deux fois de prison et y fut ramené deux fois. En comptant sur la générosité tardive de sa belle ennemie, il s’était livré à sa haine implacable. Robert Audley regarda la figure pâle de la femme qui était à côté de lui. À la vue de ses beaux yeux bleus dont l’ardeur avait quelque chose de dangereux, il se rappela une foule d’histoires sur la perfidie des femmes et tressaillit en reconnaissant que peut-être la lutte ne serait pas égale entre lui et la femme de son oncle.

« Je lui ai montré mes cartes, se dit-il, et je n’ai pas vu les siennes. Le masque qu’elle porte sera difficile à enlever. Mon oncle me croira fou avant de la croire coupable. »

La pâle figure de Clara Talboys, — cette figure grave et sérieuse, d’un caractère si différent de la beauté fragile de milady, se dressa devant lui.

« Quel poltron je suis de penser à moi et au danger que je cours ! pensa-t-il. Plus je vois cette femme, plus je redoute son influence sur ceux qui l’entourent. C’est une raison pour l’éloigner d’ici. »