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LES OISEAUX DE PROIE

même où sa voix, où son regard étaient plus doux, brusquement Valentin reprenait son ton indifférent et froid qu’il ne cherchait pas du tout à dissimuler ; il lui bâillait au nez, affectait quand ils étaient seuls des airs préoccupés. Par orgueil, Mlle Paget faisait de même. Anna Kepp eût fondu en larmes à la première parole un peu dure qui fût sortie des lèvres de son bien-aimé, mais la fille d’Anna, dans les veines de laquelle coulait le sang des Paget, était d’une autre nature. Elle répondait à l’indifférence de Haukehurst par une égale réserve ; si les manières de celui-ci étaient froides comme un jour d’automne, les siennes devenaient glacées comme un jour d’hiver. Seulement, de temps à autre, fatiguée de sa pénible existence, la faiblesse de la femme prenait le dessus et révélait le véritable état de ses sentiments ; elle se trahissait comme dans cette dernière soirée de Spa, au moment où Valentin et elle regardaient les lumières qui brillaient à travers les vapeurs empourprées d’un lourd soir d’été. Maintenant, dans le paisible jardin de la pension, son esprit se tournait vers le passé ; elle se rappelait à quel point elle avait été malheureuse, combien de moments de douleur elle avait eu à supporter, combien avaient été courts ses plaisirs comparés à ses souffrances ; elle se remettait en mémoire les tortures que lui avaient infligées sa vaine passion et son inutile dévouement ; elle s’ingéniait à trouver dans sa paisible existence d’alors des raisons qui la fissent la juger heureuse, mais elle ne pouvait y parvenir. Les émotions éprouvées dans le passé l’absorbaient tout à fait. Tout autre souvenir disparaissait devant le souvenir du temps où elle était près de lui, où elle le voyait, où elle entendait sa voix, et combien de tristes moments s’écouleraient maintenant avant qu’elle entendît de nouveau