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LES OISEAUX DE PROIE

Mais la pauvre et naïve Georgina ne croyait guère aux duchesses, à la voix angélique des chanteurs, ou à la simplicité primitive du welsh-rabbit. Elle se représentait avec terreur et netteté des choses moins innocentes. Elle s’imaginait son Tom dans un grand salon où il y avait de belles femmes, où l’on exécutait une musique enragée, où l’on se déhanchait en poussant des hourrahs formidables, mêlés au crépitement des bouteilles de champagne qui détonaient dans l’atmosphère corrompue de la salle. Des robes de satin, des pierres précieuses, des épaules nues resplendissaient sous le scintillement de la lumière que versait un lustre lourd et touffu. Une fois, au théâtre, elle avait vu quelque chose d’à peu près pareil, et depuis elle voyait toujours son mari mêlé à cette orgie, qui avait frappé sa chaste et fraîche imagination.

Les vêtements du rôdeur de nuit étaient très-mouillés et ce fut en vain que sa femme et Sheldon le pressèrent d’en changer ou d’aller se mettre au lit. Il resta debout devant la cheminée, racontant ses innocentes aventures et cherchant de bonne foi à dissiper le nuage qui assombrissait le joli visage de Georgy. Lorsqu’enfin il consentit à aller se coucher, le dentiste secoua la tête d’un air compétent et attristé.

« Vous aurez un violent rhume demain, soyez-en sûr, Tom, et vous ne devrez vous en prendre qu’à vous-même, dit-il pendant qu’il souhaitait le bonsoir à son joyeux ami.

— Tant pis, mon vieux, répliqua Tom, si je suis malade, vous me soignerez ; si je dois en mourir, j’aime mieux être exécuté par un médecin que je connais que par un inconnu. »

Ce trait lancé, Halliday descendit lourdement les