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LES OISEAUX DE PROIE

de l’ouvrage à l’aiguille sur lequel elle s’était penchée pour cacher sa rougeur, Horatio lui avait demandé d’être sa femme. L’émotion coupa la voix de la pauvre enfant lorsqu’elle voulut répondre. Elle fit un effort sur elle-même, courut au canapé sur lequel il était couché, et d’un seul mouvement elle tomba à genoux devant le capitaine. Une mendiante choisie pour femme par un roi n’eût pas été plus émerveillée, plus profondément troublée que ne le fut cette candide et gracieuse créature, lorsqu’elle s’agenouilla aux pieds du locataire de sa mère.

« Moi, je serai votre femme ! Oh ! en vérité, monsieur, ce n’est pas là ce que vous avez voulu dire ?

— Mais si, vraiment ; je le désire du fond du cœur et de toute mon âme, ma chère ! répondit le capitaine. Je ne vous offre pas là une grande chance, Anna, car je suis à peu près aussi bas dans la vie qu’un homme puisse l’être. Mais je ne pense pas être toujours pauvre. Allons, chère enfant, ne pleurez pas, dit-il avec un peu d’impatience, car la jeune fille avait couvert son visage de ses mains et les pleurs coulaient à travers ses doigts. Voyons, levez la tête et dites-moi si vous voulez, oui ou non, accepter pour votre mari un vieux garçon fané et passé ? »

Paget avait admiré bien des femmes, dans les brillantes années de sa jeunesse. Souvent il s’était cru très-amoureux, mais il est douteux qu’une puissante passion ait jamais dominé réellement son cœur qui, froid naturellement, ne s’animait qu’au souffle des passions égoïstes. Horatio, de très-bonne heure, s’était prosterné devant une idole à lui, et avait découvert une religion. L’idole c’était Horatio, la religion c’était le plaisir d’Horatio. Il aurait pu être flatté de l’émotion qu’il inspirait à Mlle Kepp. Mais il était malade, maussade. De plus,