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adolphe brassard

ment, je le devine, il va arracher son masque ; il ne faut pas ! Je le saisis, lui emprisonne les bras de mon bras, et je le hisse près de moi, à deux pieds du haut de l’entonnoir. Nous ne pouvons pas risquer plus. À la longueur du bras, c’est la mort par le fer qui se mêle à la mort par le gaz. C’est un tourbillon indescriptible, une danse macabre, où les tibias frappent les crânes.

Année 1918 ! ceux qui survivront s’en souviendront !

La pluie, la pluie tant redoutée par moment et si espérée en d’autres, s’abat en trombe poussée par le vent et lave les gaz. J’ôte mon masque. L’air humide, pareil à de la glace broyée, dégringole dans mes bronches. Je chancelle et m’agrippe à la paroi de l’entonnoir. C’est le rajustement pénible qui suit l’enlèvement de l’appareil respiratoire. Je respire maintenant librement, et j’ai l’impression que tout est vastement aéré autour de moi. Je retire avec précaution le masque de mon compa-