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Page:Bringer - Le Mystère du B 14, 1927.djvu/43

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le mystère du b 14
man à son aise, comme vous le voyez !… Il

avait un fils unique à qui devait revenir cette immense fortune… Robert… Bob, comme nous l’appelions, nous ses amis… Un charmant garçon, mais terriblement original… Oh ! oui, terriblement original… Il n’aimait pas l’argent… C’est comme j’ai l’honneur de vous le dire, honorable Monsieur Rosic… Bob se moquait de sa fortune comme d’une guigne, et, au lieu d’en profiter, comme tout le monde l’eût fait à sa place, il préférait courir les aventures. Et un jour, au grand déplaisir de lord Hyton, son père, il partit pour les Indes, comme officier dans l’armée de Sa Gracieuse Majesté… Oui… il s’engagea comme un cadet de famille… comme un pauvre petit Younger qui va aux colonies chercher à se faire une position… Hein… voilà d’un original, n’est-ce pas ?

« Mais il y a mieux encore…

« Croyez-vous que cet excellent Bob, qui était marquis de Westbury, comte de Barnstaple, baronnet de Penbroke et seigneur de tant d’autres lieux que le seul énoncé de ses titres avait l’air d’une nomenclature géographique, que ce damné garçon qui était l’héritier de lord Hyton et d’une des plus anciennes pairies du royaume, avait trouvé moyen de s’engager sous un nom d’emprunt, sous un nom excessivement roturier… Parfaitement, et nous n’étions que quelques-uns de ses intimes amis à connaître sa véritable personnalité…

« Et ce n’est pas tout, car un jour il poussa l’excentricité jusqu’à se marier avec une jeune personne, fort jolie, certes, fort distinguée aussi, mais qui était la fille d’un trafiquant tout à fait indigne de devenir un jour une lady, une pairesse et de prendre rang à la cour…

« Cette jeune personne était la fille d’un Français, ou, pour mieux dire, d’un descendant de ces Français qui s’étaient installés dans les Indes alors que ce pays était entre les mains de la France, du temps de Louis XV, je crois…

« Ce brave Français, qui se nommait M. Doux, commerçait dans les soies. Il avait quelque fortune, mais sa fille était bien la plus jolie fille qui se pût rencontrer, car depuis deux cents ans, diverses alliances indiennes et anglaises avaient produit un type étrange et charmant qui s’épanouissait en elle.

« Je ne saurais vous dire où Bob la rencontra.

« Ce dut être dans quelque soirée officielle, sans doute ; mais ce dont je suis sûr, c’est qu’il en devint profondément amoureux et que tout de suite il parla de l’épouser.

« Je lui dis :

« — Bob. mon ami, vous allez faire une sottise, et lord Hyton, votre respectable père, va vous maudire…

« Mais il haussa les épaules :

« — Lord Hyton, mon respectable père, n’a rien à voir dans cette affaire, vieux camarade. D’ailleurs, il l’ignorera toujours.

« — Comment ! Vous avez l’intention de ne pas lui en faire part…

« — Naturellement… car je sais trop qu’il me refuserait son autorisation…

« — Bob, damné garçon, prenez garde… Je n’augure rien de bon de cette aventure… J’ai peur qu’il n’en résulte une catastrophe…

« — Il n’en résultera qu’un homme heureux, et ce sera votre vieux camarade Bob…

« Et il épousa cette jeune Mlle Doux, en effet, et non seulement il se garda bien d’en avertir lord Hyton, son père, mais encore il négligea d’avertir la jeune femme de sa véritable personnalité, ce qui fait que la jeune demoiselle Doux crut avoir épousé un officier sans fortune qui n’avait d’autre avenir que son épée et son courage…

« Là-dessus, je fus désigné pour aller occuper un poste assez dangereux dans le Kachmir et dus me séparer de mon vieil ami Bob… »

— C’est là, demanda Rosic, qui commençait à s’intéresser à cette histoire, c’est là que se passa l’aventure du poignard de cristal que vous avez chargé M. Cazeneuve de me raconter ?

— Oui…

M. Cazeneuve s’est merveilleusement chargé de la commission…

— Dans ce cas, reprit sir Burnt, vous savez comment, grâce à ce talisman, je pus survivre là où tant de mes collègues avaient été traîtreusement assassinés… L’endroit est au bout du monde… J’y demeurai dix ans sans nouvelles, autant dire, du monde civilisé, et quand je revins au milieu de mes compatriotes, ce fut pour apprendre que mon vieux camarade était mort, m’instituant légataire universel, et me chargeant de ses dernières volontés. Elles étaient contenues dans une façon de testament où il disait :

« Nous sommes tous mortels… Je suis plein de vie, mais on ne sait jamais ce qui nous attend, dans notre métier… Si je venais à mourir, mon cher Will, c’est vous que je charge de veiller sur ma chère femme et ma mignonne petite fille… Je n’ai encore osé révéler

à ma chère femme ma véritable person-