Page:Brisson - Pointes sèches, 1898.djvu/113

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son régiment et se présenta, en cet équipage, aux bureaux du gouvernement militaire de Paris pour solliciter une « petite prolongation ». Pâle comme un spectre, toussant, crachant, s’appuyant aux meubles, il comparut devant le chef. « — J’ai bien maigri, murmura-t-il, d’un ton dolent, en montrant le vêtement où son corps d’aztèque semblait se fondre… Le chef ne le laissa pas finir. — Voulez-vous f… le camp tout de suite, malheureux ! Allez vous soigner chez vous ! vous ne tenez pas sur vos guiboles ! » Georges Courteline n’en demandait pas davantage. Il obtint sa libération anticipée et entra au ministère de la justice, où de hautes protections lui firent obtenir un modeste emploi. Et là encore, il ne mît aucun zèle à s’acquitter de sa tâche. Il commençait à être tourmenté de la tarentule littéraire. Il accommodait en nouvelles ses souvenirs militaires ; et tout de suite le succès lui vint. Le public fut séduit par ce talent original et primesautier. Les journaux demandèrent de la copie au jeune expéditionnaire, qui dut se partager entre ces travaux intelligents et sa besogne administrative. Il n’hésita pas : il sacrifia les intérêts de l’État à ceux des lettres. Il s’abstint de paraître à son bureau, où un collègue obligeant voulut bien dissimuler ses absences et assurer son service. On s’aperçut, au bout de quelques années, de ces irrégularités. Courteline donna noblement sa démission, et ne compta plus que sur l’art pour assurer sa subsistance.