Page:Brisson - Pointes sèches, 1898.djvu/118

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homme ne soupçonne pas un moment qu’il accomplit une action abominable, et qu’il dégrade en sa personne la dignité humaine. Il a le sentiment d’exercer sa profession, voilà tout. Et il se félicite intérieurement d’être un si habile virtuose. La satire est achevée, rien n’y manque ; la physionomie des deux plaideurs est d’une franchise qui égale celle des Pathelin, et la phraséologie avocassière, pompeuse et vide, est supérieurement saisie. Mais ne pensez pas que l’auteur demeure calme devant cette palinodie de la justice. Au fond, il est plein d’une fureur généreuse. Il semble qu’on entende sa voix gronder dans la coulisse : « Voilà le soutien de la veuve et de l’orphelin ! » Molière devait connaître ces bouillonnements, alors qu’il démasquait sur la scène l’hypocrisie de Tartufe et la cuistrerie de Trissotin.

Nous sommes loin, avec ces peintures vigoureuses, des excellentes charges d’Eugène Chavette. Les autres fantaisistes contemporains de Georges Courteline n’atteignent pas à ce degré d’énergie. Pourtant, d’une façon générale, ils dépassent en intensité leurs prédécesseurs : ils sont plus aigus ; la grivoiserie de Paul de Kock tourne à la sensualité sadique dans les romans de Pierre Weber et de Willy ; Alphonse Allais pousse jusqu’à l'insenséisme les coq-à-l’âne de l’ancien Tam-Tam. Et ainsi du reste. Cette outrance est la marque caractéristique de l’époque où nous vivons. En toutes choses, on fuit la modération, on affectionne les brutalités ; on veut frapper