Page:Brisson - Pointes sèches, 1898.djvu/25

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là, sa mauvaise humeur, un désir de réaction qui lui était inspiré par l’amour de la justice, mais qu’elle poussa sans doute trop loin et qui l’entraîna à verser dans l’excès opposé. Elle se proposait de remettre M. Ohnet à son rang ; elle eut l’air de le persécuter. L’opinion fut d’abord avec M. Ohnet contre ses ennemis ; puis elle se laissa ébranler. Il vint un moment où les femmes du monde n’osèrent plus acheter ouvertement les romans de M. Ohnet ; elles s’en excusaient, si elles étaient surprises chez le marchand, et croyaient devoir expliquer la singularité de leur goût : « Cela vous étonne que je lise encore Ohnet ? Que voulez-vous ! Il m’amuse ! »

Cette réaction inévitable contre l’engouement des premiers jours n’a pas lieu de nous confondre. Depuis une dizaine d’années, les circonstances ont changé. Le naturalisme est mort ; la rénovation idéaliste entreprise par M. Ludovic Halévy (avec l’Abbé Constantin) et par M. G. Ohnet (avec le Maître de Forges), a suscité une nouvelle génération de romanciers, dont quelques-uns, MM. Marcel Prévost, Paul et Victor Margueritte, Edouard Rod, sont doués d’un talent remarquable. On s’est attaché à ces jeunes maîtres, on s’est détourné des précurseurs. Un écrivain qui s’impose avec éclat, à moins d’être un grand génie, doit presque toujours une part de sa réussite à un heureux concours d’événements. Il est arrivé à une heure favorable, il a trouvé un filon inexploré ; il a répondu à de certaines aspirations