Page:Brisson - Pointes sèches, 1898.djvu/32

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M. Malot est parti... Honneur aux grands caractères !

Il est délicat de sonder la conscience et les reins d’autrui, surtout lorsqu’on n’y est pas autorisé. On peut cependant se demander s’il n’entre pas un soupçon de mélancolie et d’amertume dans la philosophie de M. Hector Malot. Considérons sa carrière. Il arrive à vingt ans de sa province normande et, après quelques tâtonnements de courte durée, il s’assied à sa table de travail. Il n’en bouge plus pendant un quart de siècle. Il besogne comme un bénédictin. De cinq heures à onze heures du matin, de deux heures à sept heures du soir, il « met du noir sur du blanc ». Il se refuse tout délassement qui pourrait l’enlever à son labeur. Il vit en ermite dans sa maisonnette de Fontenay ; il ne va jamais dîner en ville, et il s’abstient du théâtre, pour éviter les fatigues et les lourdeurs de tête du lendemain. S’il voyage pendant l’été, ce n’est point pour s’amuser, mais pour recueillir des notes et documenter son prochain livre. Il ne savoure pas un seul plaisir inutile. Son esprit est constamment tendu vers le « manuscrit à faire », dont la tyrannie est plus absorbante que celle de la « scène à faire ». Je ne crois pas qu’il y ait jamais eu un ouvrier plus patient et plus tenace que M. Malot... Bos suetus aratro !... Il met au monde, avec une merveilleuse régularité, dix volumes, vingt volumes, cent volumes. Il porte ses romans comme les pommiers de son pays donnent leurs pommes. Quand vient l’automne, le fruit est