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SUR LE « BANQUET » DE PLATON

un rôle considérable dans l’école des Cyniques et de leurs successeurs les Stoïciens, la notion des choses indifférentes en elles-mêmes, et qui n’acquièrent leur signification que par le juste emploi qu’on en fait en se conformant aux indications de la raison » (Penseurs de la Grèce, vol. I, p. 453, trad. Reymond). C’est précisément cette doctrine ou une application de cette doctrine que nous trouvons dans le Banquet : « Toute action, dit Pausanias, en elle-même n’est ni belle ni laide : ce que nous faisons présentement, boire, manger, discourir, rien de tout cela n’est beau en soi, mais peut le devenir par la manière dont on le fait, beau si on le fait selon les règles de l’honnêteté, et laid si on le fait contre ces règles » (180, E). — Tout le discours est rempli de distinctions subtiles qui, à la manière de Prodikos, indiquent, soit les différents sens des mots, soit les points de vue antithétiques auxquels on peut se placer pour apprécier ou juger toutes choses. Le sophiste montre ainsi le pour et le contre, et explique la diversité des jugements portés par les hommes[1]. Ainsi, l’amour, tel qu’on le comprenait à Athènes, est considéré comme honteux par certains peuples grecs et par les barbares. Sans sortir de la Grèce, on peut trouver encore sur cette même question des conceptions et des points de vue opposés. À Athènes même il n’est pas facile de concilier la

  1. Un passage du Protagoras (337, E), où l’ironie est évidente, met en pleine lumière la manière habituelle de Prodikos et son goût pour les distinctions verbales.

    « Tous ceux qui assistent à une discussion doivent écouter les interlocuteurs en commun, mais non pas également, car si l’on prête à tous deux une attention commune, elle doit être plus grande à l’égard du plus savant et moindre pour celui qui ne sait rien. Pour moi, si vous vouliez suivre mes conseils, Protagoras, Socrate, voici une chose dont je voudrais que vous convinssiez entre vous, c’est de discuter et non pas de vous quereller, car les amis discutent entre eux doucement et les ennemis se querellent pour se déchirer ; par ce moyen, cette conversation nous serait à tous très agréable. Premièrement le fruit que vous en retireriez serait, je ne dis pas dans nos louanges, mais dans notre estime, car l’estime est un hommage sincère que rend une âme véritablement touchée et persuadée, au lieu que la louange n’est le plus souvent qu’un son que la bouche prononce contre les sentiments du cœur, et nous autres auditeurs nous en retirerions, non ce qu’on appelle du plaisir, mais de la joie ; car la joie est le consentement de l’esprit qui s’instruit et qui acquiert la sagesse, au lieu que le plaisir n’est à proprement parler que le chatouillement des sens, comme, par exemple, le plaisir de manger. » — Cf. Prot., 340, B ; 358, B, D.