Page:Brochard - Études de philosophie ancienne et de philosophie moderne.djvu/107

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
73
SUR LE « BANQUET » DE PLATON

plaisanteries analogues à celles que nous trouvons dans les vers mêmes du poète. Personne ne contestera qu’il y ait assez bien réussi, et il est inutile d’insister sur ce point. Nous aurons d’ailleurs l’occasion, dans la dernière partie de ce travail, de revenir sur le rôle que joue Aristophane dans le Banquet.

Il est incontestable que Platon nous a représenté dans le Banquet Socrate et Agathon comme unis par la plus étroite amitié, et attirés l’un vers l’autre par la plus franche sympathie. Les témoignages d’estime et d’affection qu’ils se donnent à travers toutes les conversations ne sont pas de simples formules de politesse. Ils sont trop nombreux et trop précis pour qu’on puisse attribuer à l’un ou à l’autre la moindre arrière-pensée. Il est certain aussi que Platon traite Agathon avec bienveillance. Il nous donne de son esprit, de son talent, de sa grâce et de son éloquence, l’idée la plus flatteuse. On ne saurait imaginer un amphytrion plus accueillant, un convive plus aimable, un orateur plus séduisant ! Le portrait du poète tragique présente avec celui du poète comique un contraste frappant. Autant le second nous apparaît comme un peu vulgaire, assez grossier et même un peu ridicule malgré tout son esprit, le premier nous laisse l’impression de la parfaite élégance et de la grâce la plus exquise. Le discours d’Agathon n’en est pas moins une parodie, et non seulement Socrate a bientôt fait d’obliger son interlocuteur à avouer qu’il s’est contredit et qu’il ne sait pas bien de quoi il parle, mais encore nous voyons percer l’ironie habituelle de Socrate dès les premiers mots de sa réplique. « Qui ne serait embarrassé aussi bien que moi, ayant à parler après un discours si beau, si varié, admirable en toutes ses parties, mais principalement sur la fin où les expressions sont d’une beauté si achevée qu’on ne saurait les entendre sans en être frappé ? » (198, B.) Il marque l’opposition de sa manière avec celle du poète en déclarant qu’il dédaigne la recherche dans les mots et dans leur arrangement (199, B). Si on veut bien y prendre garde, les arguments que Platon prête à Agathon sont tout à fait artificiels et sophistiques. Comment ne pas voir une intention malicieuse dans les paroles que Platon met dans la bouche du poète, quand il le fait jouer sur les mots