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PHILOSOPHIE ANCIENNE

revenir encore. Nous voudrions seulement à cette occasion présenter sur trois points importants quelques remarques qui auront pour but de montrer ce qui dans la théorie de Socrate appartient surtout à Platon, puis de marquer les rapports de la théorie de l’amour avec la théorie de la connaissance et avec le reste du système.

1° C’est sans doute parce que Platon avait parfaitement conscience de ce qu’il ajoutait de nouveau à l’enseignement de son maître, c’est parce qu’il reculait devant un anachronisme par trop évident, qu’il a substitué à Socrate un autre personnage, Diotime, femme de Mantinée. La manière même dont Socrate reçoit les leçons de cette femme, les ménagements qu’elle prend (208, B) pour s’assurer qu’il comprend bien des conceptions toutes nouvelles, les divers degrés de l’initiation par où elle le fait passer, montrent clairement que Platon prend ici résolument la place de Socrate. « Peut-être, Socrate, suis-je parvenue à t’initier jusque-là aux mystères de l’amour, mais quant au dernier degré de l’initiation, je ne sais si, même bien dirigé, ton esprit pourrait s’élever jusque là » (209, E). S’il a cru toutefois devoir conserver le nom de son maître et lui attribuer des discours que manifestement il n’a pu tenir, il doit avoir eu pour cela un motif, et nous essaierons plus loin de le deviner.

Socrate invoque le nom de Diotime dès qu’il veut exposer cette idée que l’amour est intermédiaire entre le bien et le mal. C’est qu’en effet il s’agit ici d’une idée nouvelle d’une importance capitale, qui est en quelque sorte le pivot de tout le platonisme, et que non seulement Socrate n’avait point formulée, mais qui était en parfaite contradiction avec ses théories les plus connues. De ce que l’amour n’est ni beau ni bon, ainsi qu’il vient de le démontrer contre Agathon, Socrate se croit en droit de conclure qu’il est laid et mauvais. En d’autres termes il fait une application rigoureuse du principe de contradiction qui supprime les intermédiaires. C’est précisément ce que faisait le Socrate historique, et avec lui tous les contemporains de Platon. Il n’y a pas de milieu entre savoir et ignorer. C’est pourquoi la vertu est une science et le vice une ignorance, comme Socrate ne se lassait point de le répéter. C’est pourquoi aussi la vertu peut s’enseigner. Quand