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LES « LOIS » DE PLATON ET LA THÉORIE DES IDÉES

méchante ? Il peut y avoir une telle âme, si l’âme est définie uniquement la cause du mouvement, parce que le mouvement peut être désordonné. Dans l’absolu il ne saurait en être de même, et Platon ne parle jamais d’une Intelligence perverse ou d’une Idée mauvaise. Dans les Lois même, il fait une différence entre l’Âme qui régit les mouvements du monde inférieur et l’Intelligence qui règle le mouvement toujours égal des astres. Sans doute, comme nous l’apprennent les textes du Timée et du Philèbe, il ne peut y avoir d’Intelligence que dans une âme ; il n’en est pas moins vrai que, à deux reprises, dans les Lois (897, B) : ψυχή…, νοῦν… προσλαβοῦσα ἀεὶ θεῖον (cf. 966, D), Platon distingue l’Intelligence et l’Âme. Au-dessus même de l’Intelligence, au-dessus de cette Âme royale dont parle le Philèbe, de ce Roi dont parlent les Lois, et qui paraît identique au Démiurge du Timée et à la Cause du Philèbe, on peut concevoir qu’il y ait des principes plus hauts auxquels tous deux participent, comme cette Idée du bien dont il est dit dans la République (livre VII, 517, C), qu’elle est la source de la Vérité et de l’Intelligence, ἀλήθειαν καὶ νοῦν παρασχομένη. Dans les Lois même un texte très significatif semble indiquer qu’au-dessus de la connaissance de l’âme et des dieux il y a place pour une science plus haute, celle qui atteint les définitions et les raisons des choses (967, D) : ἄρχει τε δὴ σωμάτων, ἐπὶ δὲ τούτοισι δή,… τὸν… ἐν τοῖς ἄστροις νοῦν τῶν ὄντων τά τε πρὸ τούτων ἀναγκαῖα μαθήματα λάβῃ,… χρήσηται πρὸς τὰ τῶν ἠθῶν ἐπιτηδεύματα καὶ νόμιμα συναρμοττόντως, ὅσα τε λόγον ἔχει, τούτων δυνατὸς ᾖ δοῦναι τὸν λόγον.

En tout cas, avant d’attribuer à Platon une doctrine comme celle qu’on lui prête, il faudrait un texte formel et précis. On n’a pas le droit de supposer, sans preuves évidentes, qu’un philosophe a remplacé par une doctrine entièrement opposée celle qu’il avait expressément enseignée. Si Platon s’était placé, un seul instant, au point de vue de ce que nous appelons aujourd’hui le subjectivisme, s’il avait été kantien à quelque degré que ce fût, il aurait trouvé moyen de le dire. Sa langue, si souple et si variée, n’eût pas été fort en peine de trouver l’expression d’une telle doctrine. Et, sans doute, un changement si radical dans sa manière de voir valait la