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PHILOSOPHIE ANCIENNE

cien subtil, peut-être serait-il juste de dire qu’il est avant tout et par-dessus tout un moraliste et un législateur. C’est ce qu’achève de confirmer l’histoire de sa vie. On sait en effet les efforts qu’il a tentés pour passer de la théorie à la pratique et réaliser son idéal. Personne ne s’est donné plus de peine et n’a couru de plus grands dangers pour traduire ses idées dans les faits, que ce philosophe qu’on se représente parfois comme égaré dans les spéculations les plus abstraites.

Si la morale de Platon a été ainsi reléguée au second plan, c’est peut-être parce qu’elle se trouve placée entre l’œuvre de Socrate, qui a fondé la science morale, et celle d’Aristote, qui a porté la conception de la morale grecque au ive siècle à son plus haut degré de perfection et en a donné la formule définitive.

Il ne s’agit pas ici de diminuer la gloire de l’auteur de la Morale à Nicomaque et de lui disputer des titres que tous les siècles se sont accordés à lui donner. Mais il est permis de soutenir que la morale d’Aristote se trouve plus qu’en germe dans celle de son maître. Les principales doctrines auxquelles le disciple a attaché son nom ont déjà été, sinon formulées d’une manière aussi heureuse, du moins très nettement aperçues et fortement exposées par le maître. Ici, comme en bien d’autres questions, les deux philosophies, en dépit de différences notables, se continuent l’une l’autre beaucoup plus qu’elles ne sont opposées et se complètent bien loin de se contredire. C’est la conclusion qui, croyons-nous, se dégagera d’elle-même de la brève esquisse que nous présentons au lecteur.

I

La première question qui paraît avoir attiré l’attention de Platon est celle de la nature de la vertu. Nous allons le voir s’écarter peu à peu de la doctrine de son maître, jusqu’au jour où, entièrement en possession de sa pensée, il substituera à la thèse socratique une conception toute nouvelle.

On sait que la thèse principale soutenue par Socrate était que la vertu est une science. Tous les témoignages, ceux de Xénophon, de Platon et d’Aristote, sont d’accord sur ce point.