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LA MORALE DE PLATON

que, dans la République, au moment où il cherche à définir la justice, Platon est amené à entrer dans les détails les plus minutieux sur l’enseignement de la gymnastique et de la musique qui forme toute l’éducation du guerrier. C’est ainsi encore que, selon lui, changer quelque chose à la musique, c’est ébranler les fondements mêmes de l’État (République, IV, 424, C). Dans la cité idéale que conçoit Platon l’enseignement de ces deux arts est réglé avec le soin le plus méticuleux. Les magistrats doivent en quelque sorte surveiller chacune des idées qui entrent dans l’esprit des enfants, être attentifs à chacune de leurs actions et songer toujours aux habitudes qui peuvent en résulter. L’éducation est vraiment, dans le sens absolu du mot, une affaire d’État.

Comme la justice est la vertu essentielle, on voit que la morale de Platon est fondée, non sur une notion a priori ou sur un raisonnement abstrait, mais sur les données psychologiques fournies par l’observation et l’expérience. Ce n’est pas dans la théorie des Idées qu’elle trouve son principe, mais dans sa psychologie et la politique. D’autre part elle donne à la morale un fondement objectif, puisque c’est en fin de compte l’ordre établi par la nature qu’elle assigne comme fin suprême à l’activité volontaire. C’est ainsi qu’elle dépasse le point de vue encore tout subjectif de Socrate et donne pour la première fois la formule que tous les moralistes grecs répéteront : il faut suivre la nature et se conformer à l’ordre universel.

Désormais les formules adoptées par Socrate doivent être modifiées. D’abord la vertu, puisqu’elle n’est pas une science, ne peut être enseignée. En outre, elle est multiple, puisque les diverses fonctions de l’âme auxquelles correspondent les vertus sont réellement distinctes les unes des autres. Enfin, si la vertu est différente de la science, on pourra concevoir, puisqu’elle n’est qu’une opinion vraie, qu’elle soit vaincue par le désir. Platon, comme l’a fort bien montré M. Fouillée[1], à qui revient le mérite d’avoir le premier débrouillé cette partie très obscure du système, reste jusqu’au bout fidèle à la maxime socratique et soutient

  1. Philosophie de Platon, t. II, 2e édition, p. 36 et 37. — Philosophie de Socrate, t. I, chap. II.