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PHILOSOPHIE ANCIENNE

plutôt une possession naturelle de l’âme, une faculté ou un organe qui est en elle et qu’il suffit de diriger vers son objet pour que la connaissance se produise aussitôt. C’est une grande erreur de croire qu’on puisse donner à quelqu’un la science toute faite, à peu près comme on rendrait la vue à l’aveugle. La faculté de voir ou de contempler est une puissance propre à l’âme et qu’il suffit de bien diriger pour que la science apparaisse. Il y a donc une vertu plus haute que la justice elle-même, et c’est la science.

Ici encore l’éducation, ou plutôt l’instruction a un rôle important. Pour mettre l’organe de l’âme en état de bien voir les vérités éternelles, il faut le tourner en quelque sorte vers son objet, et on y arrive en s’élevant par degrés à des connaissances de plus en plus parfaites. C’est pourquoi les futurs magistrats de la cité platonicienne sont initiés au calcul, à la géométrie, à l’astronomie, à toutes les sciences enfin qui dépassent les apparences sensibles et permettent d’apercevoir les vérités qui ne changent point. La dialectique est le dernier terme de cette ascension rationnelle ; elle est l’intuition directe de l’Idée suprême ou de l’Idée du bien.

Entre la vertu populaire et la science suprême, il y a d’ailleurs des rapports étroits. Il faut commencer par la première pour atteindre la seconde. Le sage, tel que le conçoit Platon, réunit en lui toutes les qualités du guerrier ou de l’homme d’action, il joint à l’expérience la spéculation, et s’il est vrai de dire que la réunion des qualités nécessaires pour réaliser à la fois des perfections qui semblent si contraires entre elles est fort difficile, il en résulte seulement que le nombre des sages sera peu considérable. Platon les présente, en effet, comme une élite, et il est le premier à reconnaître qu’il n’en existe qu’un très petit nombre parmi les hommes.

Cette définition de la vertu supérieure nous ramène au point de vue de Socrate ; aussi voyons-nous que les différentes formules qui exprimaient sa pensée, inexactes ou incomplètes quand il s’agit de la vertu populaire, reprennent ici toute leur force et leur valeur. Platon ne s’est séparé de son maître que pour un instant : il revient à lui dès qu’il s’agit de la vertu par excellence.

La vertu, en effet, peut s’enseigner, puisqu’elle est une