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PHILOSOPHIE ANCIENNE

philosophes ont données de la justice ou vertu politique, il y a certainement très loin de la théorie exposée dans la République à celle qui remplit le livre V de la Morale à Nicomaque. Personne ne contestera qu’Aristote l’emporte de beaucoup par la précision, la nouveauté et la profondeur de ses aperçus. Encore faut-il remarquer que Platon a au moins entrevu la distinction si nette que son disciple devait faire entre la justice rectificative et la justice distributive. Ainsi, au VIIIe livre de la République, 558, D, un des reproches qu’il adresse à la démocratie est de faire régner l’égalité entre les choses inégales, mais surtout c’est dans les Lois, VI, 757, B, que cette distinction est formulée avec le plus de netteté : « Il y a deux sortes d’égalité qui se ressemblent par le nom, mais qui sont bien différentes pour la chose. L’une consiste dans le poids, le nombre, la mesure : il n’est point d’État, point de législateur à qui il ne soit facile de la faire passer dans la distribution des honneurs en les laissant à la disposition du sort. Mais il n’en est pas ainsi de la vraie et parfaite égalité qu’il n’est pas aisé à tout le monde de connaître. Le discernement en appartient à Jupiter, et elle ne se trouve que bien peu entre les hommes. Mais enfin c’est le peu qui s’en trouve soit dans l’administration, soit dans la vie privée, qui produit tout ce qui s’y fait de bien. C’est elle qui donne plus à celui qui est plus grand, moins à celui qui est moindre, à l’un et à l’autre dans la mesure de sa nature. Proportionnant ainsi les honneurs au mérite, elle donne les plus grands à ceux qui ont plus de vertu, et les moindres à ceux qui ont moins de vertu et d’éducation. »

Quant à la vertu la plus haute, c’est-à-dire à la science, les deux philosophes se trouvent tout à fait d’accord. C’est en effet la vie contemplative, la spéculation intellectuelle, qu’ils considèrent comme la plus haute perfection où l’homme puisse atteindre.

Il est vrai qu’il faut s’entendre sur le sens de ce mot vie contemplative si souvent employé par Platon. On a souvent reproché à la morale de Platon d’être toute négative, et il est certain qu’il lui arrive quelquefois de représenter l’homme de bien comme étranger et indifférent aux affaires de ce monde. Il y est gauche et emprunté. On a cité les textes formels dans