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LA MORALE DE PLATON

privé de toute réflexion, tu ignores même si tu as du plaisir ou non. C’est la vie d’une éponge ou de ces espèces d’animaux de mer qui vivent enfermés dans les coquillages (Philèbe, 21, C). » Ailleurs (61, C), le philosophe compare l’intelligence et le plaisir à deux sources, l’une de miel, l’autre d’eau sobre et salutaire. Telle est la condition de l’homme qu’il ne saurait se contenter de cette dernière. La même théorie est exposée, on l’a vu, dans le texte déjà cité du VIe livre de la République, où Platon combat également ceux qui définissent le souverain bien par l’intelligence, et ceux qui le réduisent au plaisir.

Cependant le plaisir et l’intelligence sont les seules fins que l’on puisse assigner à la volonté humaine. Il s’ensuit que le véritable bien, pour l’homme, sera une combinaison ou un mélange d’intelligence et de plaisir. Ce mélange seul méritera le nom de souverain bien. Mais c’est une question de savoir si, dans ce mélange, les deux éléments auront une part égale ou si l’un des deux l’emportera sur l’autre. Si le plaisir ni l’intelligence ne peuvent concourir pour le premier rang, ils peuvent se disputer le second (22, C).

Pour éclaircir ce point d’une manière précise et méthodique, il faut examiner attentivement la nature du plaisir et de l’intelligence. On peut ramener à quatre toutes les formes ou tous les types d’existence : ce sont le fini, l’infini, la cause et le mélange (27, A, B). Le fini est ce qui est nettement déterminé, comme, par exemple, l’unité ou la dualité, le bœuf ou l’homme. C’est très probablement l’Idée que Platon désigne ici par ce nom[1]. L’infini ou l’indéterminé est ce qui comporte

  1. Ce passage si important du Philèbe a été diversement interprété. Nous ne saurions, sans étendre outre mesure le cadre de cette étude, entrer ici dans le détail de ces discussions. Mais il nous paraît utile d’indiquer brièvement pourquoi nous nous écartons des deux interprétations le plus récemment proposées par des historiens de grande autorité.

    1o Ed. Zeller (die Ph. d. Gr., II, I4, p. 695), recherchant quelle est la place de l’Idée parmi les quatre genres admis par Platon, refuse d’admettre comme on l’avait fait avant lui qu’elle appartient au πέρας. Ce dernier terme ne désignerait que des déterminations mathématiques. Les Idées appartiendraient au genre de l’αἰτία, elles seraient des causes efficientes, des forces. Sans contester que les Idées soient en quelque manière et en un certain sens des causes, il nous parait impossible d’admettre que, dans le texte en question du Philèbe (23, C ; 27, E), elles soient désignées comme telles. La suite du texte montre en effet que la cause dont il s’agit désigne l’intelligence