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LA MORALE DE PLATON

du souverain bien les plaisirs violents et grossiers, le trouble profond qu’ils jettent dans l’âme ne lui permettant pas de se consacrer à la science et d’atteindre la vérité. Seuls, les plaisirs purs ou sans mélange pourront, parce qu’ils sont modérés, trouver place à côté des sciences. Il faudra, il est vrai, y joindre ceux des plaisirs mixtes qui sont nécessaires à la vie (République, VIII, IX, D, 558). Platon fait, en effet, la distinction que retrouvera plus tard Épicure entre les plaisirs et désirs nécessaires et les superflus. Il faut bien convenir qu’il y a, dans cette adjonction au plaisir pur, des plaisirs mélangés mais nécessaires, une difficulté, et même une contradiction, qu’Aristote résoudra par sa nouvelle théorie du plaisir. Platon se contente de dire que le sage ne prendra de ces plaisirs corporels que ce qui est strictement indispensable. Tels sont, en définitive, les éléments dont se composera le souverain bien ; d’abord, toutes les sciences, puis les plaisirs purs, avec les plaisirs nécessaires.

Les éléments qui doivent entrer dans la composition du souverain bien sont devant nous comme des matériaux qu’il faut maintenant assembler et unir. Pour accomplir ce mélange Platon introduit ici trois éléments nouveaux : la mesure, la beauté et la vérité, et nous sommes en présence du passage le plus obscur du Philèbe[1], un de ceux qui ont le

  1. Malgré l’extrême obscurité de cette partie du Philèbe (65, A), on s’accorde assez communément sur le sens général qu’il faut lui attribuer, et on reconnaît que la théorie du bien pour l’homme se rattache ici à la doctrine du bien absolu, ou que le bien moral s’achève par la participation à l’Idée du bien. Mais si l’on examine le détail, les difficultés et les désaccords reparaissent. Nous ne pouvons entrer ici dans toutes ces discussions qui ne se rattachent pas directement à notre sujet, et nous nous bornerons à essayer de justifier brièvement l’interprétation que nous adoptons.

    Suivant Zeller (Phil. d. Griech., II, I4, p. 874), les cinq éléments énumérés ici par Platon seraient les parties intégrantes du mélange qui constitue le souverain bien. Le premier des cinq éléments, le μέτρον, serait l’Idée en général ou plutôt la participation à l’Idée ; le second, le beau, serait la cause qui réalise dans la pratique un tout harmonieux et complet. Il faut accorder à Zeller le premier point ; mais on ne voit pas très bien pourquoi le μέτρον plutôt que le beau ou même l’intelligence représenterait l’Idée en général, au lieu d’être, ainsi qu’il paraît naturel, une Idée particulière comme les autres. En outre, on ne voit pas bien comment le beau formerait dans la réalité le mélange harmonieux du bien. Dans les autres dialogues, l’activité n’est pas attribuée particulièrement au beau, et il n’agit, comme on le voit dans le Phèdre et dans le Banquet, que par l’intermédiaire de l’amour dont il n’est pas ici question. Ce rôle semblerait appartenir bien plus naturellement