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PHILOSOPHIE ANCIENNE.

Dans l’impossiblité où nous sommes de connaître en elle-même la nature de l’Idée du bien, il ne nous reste qu’une ressource, c’est de la considérer, soit dans ses effets, soit dans les Idées qui s’en rapprochent le plus, qui en sont les plus voisines et lui sont comme unies par un lien de parenté. C’est la méthode constante de Platon, quand il veut connaître une chose, d’en déterminer d’abord la nature, puis les effets. La première de ces conditions faisant ici défaut, pour les raisons que nous avons dites, il faut se contenter de la seconde.

Dans la République (livre VI), Platon considère l’Idée du bien dans ce qu’elle produit immédiatement, dans la réalité sensible qu’il appelle son fils et qui est le soleil, ἔκγονον (Rép., VI, 507, C). De même que le soleil produit dans le monde sensible à la fois tout ce qui existe et la lumière qui éclaire le monde, de même dans le monde intelligible l’Idée du bien est la cause de l’intelligence et de la pensée, de ce qui est connu et de ce qui connaît. Dans le Banquet (211, E) et le Phèdre (250, D), où l’impossibilité de nous élever jusqu’au faîte de la dialectique est encore affirmée, c’est l’idée du beau qui est prise pour son équivalent. Un passage assez obscur du Gorgias (508, A), semble encore faire allusion à une conception analogue, lorsque, pour expliquer l’ordre du monde, il le rattache à l’égalité géométrique si puissante parmi les dieux et les hommes. Dans le Philèbe enfin, il nous dit en propres termes : « Si nous ne pouvons saisir le bien sous une seule idée, prenons-le sous trois idées différentes » (65, A). C’est en participant à l’Idée du bien par l’intermédiaire de ces trois idées que le mélange que nous allons former satisfera la raison. Il faut d’abord que le mélange soit conforme à l’ordre et à la mesure ; mais la proportion ou l’harmonie suppose la beauté. Il faut enfin que le mélange possède la vérité, car une chose où n’entre pas la vérité n’a jamais existé et n’existera jamais d’une manière réelle. Voilà donc trois éléments nouveaux : la mesure, la beauté, la vérité ou l’intelligence (65, D), qui doivent s’ajouter aux précédents pour en assurer l’union.

Nous sommes arrivés au terme de cette longue recherche, et à la question qui a été posée nous pouvons répondre : le souverain bien est un mélange d’intelligence et de plaisir unis selon la mesure, la beauté et la vérité. Toutes les sciences,