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PHILOSOPHIE ANCIENNE

propre, par sa constitution intime, ἐκ τῆς ἰδίας φύσεως κατασκευῆς (Sext., P., II, 102 ; M., VIII, 201) ; révèle la chose signifiée. Entre le signe et la chose signifiée le lien est si étroit que, si la seconde disparaît, le premier s’évanouit aussitôt : c’est l’ἀνασκευή (Sext., M., VI, 4 ; VII, 214) ; qui paraît avoir été surtout défendue par les stoïciens récents dans leur polémique avec les épicuriens (Natorp, Forschungen, p. 244).

Mais comment cette nécessité nous est-elle connue ? Ce ne peut être uniquement par les sens : malgré leur sensualisme, les stoïciens voient bien qu’ils sont ici insuffisants. Aussi disent-ils que le signe est intelligible, νοητόν (Sext., M., VIII, 179) et ils se séparent sur ce point des épicuriens, plus fidèles peut-être à leurs principes communs. Cependant il serait absurde de supposer que l’expérience ne soit pour rien dans la connaissance des signes. Les exemples ordinairement invoqués sont au contraire empruntés à l’observation ; si cette femme a du lait, elle a enfanté ; — la cicatrice atteste une blessure ; — la fumée est le signe du feu ; — la sueur prouve l’existence des pores de la peau (Sext., P., II, 99 ; M., VIII, 252). Sans doute une distinction s’est établie entre le signe commémoratif, ὑπομνηστικόν, simple consécution fondée sur l’expérience, et le signe indicatif, ἐνδεικτικόν (Sext., P., II, 100). Ce serait une question de savoir si cette distinction a été connue des premiers stoïciens, ou si, au contraire, elle n’a pas été aperçue plus tard, précisément en raison des difficultés que signalaient les adversaires du stoïcisme. Mais ce n’est pas ici le lieu de discuter ce point de détail. Parmi les signes indicatifs, nous trouvons des exemples qui manifestement supposent l’expérience (Sext., M., VIII, 252) : εἰ γάλα ἔχει ἐν μαστοῖς ἥδε, κεκύηκεν ἥδε — εἰ καρδίαν τέτρωται οὗτος, ἀποθανεῖται οὗτος. Même quand il s’agit de signes concernant les choses invisibles (Sext., P., II, 101) : αἱ περὶ τὸ σῶμα κινήσεις σημεῖά ἐστι τῆς ψυχῆς), on ne peut dire que l’expérience et ses analogies soient entièrement absentes. En tout cas, il ne saurait être question de connaissance a priori : l’idée de l’a priori, telle que nous l’entendons aujourd’hui, est étrangère à la pensée antique.

Il semble que quand les stoïciens parlent de la nécessité, ou de l’impossibilité de concevoir une chose, de son inintelli-