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INTRODUCTION

sagesse[1] ; et l’on ne peut s’empêcher de relever ici par surcroît l’interprétation si séduisante que Brochard a donnée du Banquet, l’intuition délicate et précise avec laquelle il a fait voir dans les cinq premiers discours de ce Dialogue, non pas, comme on le prétend d’ordinaire, des expressions imparfaites de la pensée du philosophe exactement traduite par le discours de Socrate, mais au contraire des expressions d’idées auxquelles le philosophe s’oppose et des parodies d’auteurs contemporains. Développée surtout par réaction contre ce qu’avait d’excessif et d’abstrait l’intellectualisme socratique, cette conception de moyens termes entre l’être et le non-être, entre la vérité absolue et la simple opinion, devait servir surtout à l’établissement d’une morale plus large, plus complète et plus définie que la morale de Socrate. Socrate, ainsi que l’avait fait ressortir Brochard, après avoir défini la vertu par la science s’était trouvé embarrassé pour déterminer l’objet de cette science ; il avait eu recours aux notions assez vagues de l’agréable ou de l’utile telles que les entend le sens commun[2]. Platon eut le mérite de voir que, si la vertu suppose la science, elle ne s’y ramène pas tout entière, qu’en outre il y a lieu de donner des définitions séparées du bien et de la vertu ; il comprit donc que, pour rendre compte de la vertu, il est une partie irrationnelle de l’âme dont il faut tenir compte ; il fut le premier à donner de la vertu cette définition acceptée par la philosophie grecque ultérieure, qu’elle est la fonction propre de chaque être, οἰϰεῖον ἔργον. Suivant dans une large étude le développement de la morale de Platon, Brochard la montrait s’acheminant par degrés vers une notion de plus en plus compréhensive du Souverain Bien, conçu finalement dans le Philèbe comme un mélange d’intelligence et de plaisir unis selon la mesure, la beauté et la vérité. Et certes, sans déprécier la valeur de l’Éthique à Nicomaque, Brochard pouvait se

  1. Sur le Banquet de Platon, p. 60-94.
  2. L’œuvre de Socrate, p. 34-45.