Page:Brochard - Études de philosophie ancienne et de philosophie moderne.djvu/30

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
xxiv
INTRODUCTION

dant ses caractères propres par lesquels elle s’oppose aux doctrines précédentes : contre les écoles qui toutes avaient admis, contre l’aristotélisme en particulier qui s’était si fortement appliqué à justifier la spécificité des plaisirs, Épicure soutient l’unité du plaisir, et la réduction de tout plaisir au plaisir du corps ; les plaisirs, quels qu’ils soient, même quand ils semblent très éloignés des satisfactions corporelles, ont toujours pour base un certain bien-être physique. D’où résulte déjà pour la morale cette conséquence, que le bonheur, consistant essentiellement dans l’équilibre du corps ou la santé, ne doit pas être attaché à d’autres biens, et c’est là le principe de tout affranchissement. Cet affranchissement se continue et s’achève lorsque l’âme, qui n’est pas cependant une source propre de plaisir, use de son pouvoir et de sa volonté pour recueillir par la mémoire les souvenirs heureux du passé et les projeter en espérances dans l’avenir ; ainsi elle fait contrepoids aux causes de trouble et se crée une félicité indépendante de la nature et de la fortune. « Ce qu’Épicure a bien vu, disait en terminant Brochard, c’est que contre l’adversité nous n’avons de recours qu’en nous-mêmes. Ce sont nos propres pensées, nos propres réflexions qu’il faut, par un effort de volonté persévérant et obstiné, opposer aux coups du sort. Nous n’avons point d’autre ressource. Les anciens se moquaient du remède proposé par Épicure. Ils avaient raison de remplacer ces moyens impuissants par l’idée de la nécessité ou par la confiance dans les lois de l’univers. Lorsque le sage a bien compris que les choses ne sauraient être autrement qu’elles ne sont, lorsqu’il s’est bien pénétré de l’inéluctable fatalité des lois naturelles et qu’il s’y soumet parce qu’il ne peut faire autrement et que c’est ce qu’il a de mieux à faire, il a à peu près atteint les dernières limites de ce que peuvent pour lui la philosophie et la science. Il obtient la suprême consolation qu’il puisse espérer en ce monde, s’il arrive à se persuader que cet ordre fatal de l’univers est l’œuvre d’une volonté sage et que la Nécessité est