Page:Brochard - Études de philosophie ancienne et de philosophie moderne.djvu/375

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341] ses révélations aux opinions du Christ, que de soutenir que, dans les révélations antérieures accordées aux prophètes, il accommode sa parole aux opinions des anges qui lui servaient d’intermédiaire, c’est-à-dire aux opinions d’une voix créée ou d’une vision, ce qui est bien la chose du monde la plus absurde. Ajoutez à cela que le Christ n’a pas été envoyé pour les seuls Hébreux, mais bien pour tout le genre humain : d’où il suit qu’il ne suffisait pas d’accommoder ses pensées aux opinions des Juifs, il fallait les approprier aux opinions et aux principes qui sont communs à tout le genre humain, en d’autres termes, aux notions universelles et vraies. Maintenant, que peut-on entendre en disant que Dieu s’est révélé au Christ ou à l’âme du Christ d’une façon immédiate et non pas, comme il faisait aux prophètes, par des paroles et des images, sinon que le Christ a conçu les choses révélées dans leur vérité, ou autrement qu’il les a comprises. Car comprendre une chose, c’est la concevoir par la seule force de l’esprit pur sans paroles et sans images. C’est donc un principe bien établi que Jésus-Christ a conçu la révélation divine en elle-même et d’une façon adéquate. »

S’il fallait prendre ces textes au pied de la lettre et s’il suffisait pour être chrétien de croire à la divinité du Christ et à sa venue en ce monde pour montrer aux hommes la voie du salut, il faudrait dire que Spinoza était chrétien et que sa conversion doit être prise au sérieux. C’était sans doute l’opinion des rabbins, qui l’ont exclu de la synagogue. Toutefois il ne faut pas ici se laisser duper par les apparences ni jouer sur les mots. Spinoza n’est pas un croyant, puisqu’il met la foi au-dessous de la raison, puisqu’il considère la révélation comme une transposition de la vérité mise à la portée des simples. La foi est une connaissance inadéquate, et, selon l’esprit et la lettre même de sa doctrine, l’idée inadéquate ne diffère guère de l’erreur. D’ailleurs il ne faut pas oublier la restriction qu’il fait lui-même dans les passages du Traité que nous venons de citer : « Je dois avertir ici que je ne prétends ni soutenir ni rejeter les sentiments de certaines Églises touchant Jésus-Christ, car j’avoue franchement que [342]