Page:Brochard - Études de philosophie ancienne et de philosophie moderne.djvu/394

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sinon au même but, du moins au même résultat. Ainsi apparaît l’unité de toute sa vie et de son œuvre. C’est une haute pensée morale qui est en même temps une pensée philosophique et une pensée religieuse. Il paraît donc que le Dieu de Spinoza est beaucoup moins différent qu’on ne l’a cru quelquefois du Dieu de la tradition judéo-chrétienne. Que faut-il dès lors penser du reproche de panthéisme si souvent adressé à ce philosophe ? Pour résoudre cette question il faudrait commencer par définir exactement le panthéisme. Mais le mot, sinon la chose, est de date récente, et un spirituel philosophe a déjà dit qu’il était plus facile de réfuter le panthéisme que de le définir. La caractéristique du panthéisme n’est pas sans doute la négation de la finalité et de la providence, car les Stoïciens, qu’on appelle généralement panthéistes, sont très nettement partisans de l’une et de l’autre. Les alexandrins affirment aussi la providence. S’il fallait mettre au nombre des panthéistes tous ceux qui refusent d’attribuer à Dieu la liberté d’indifférence, il faudrait inscrire parmi eux un très grand nombre de philosophes et beaucoup de théologiens partisans de la prédestination et de la grâce. Le propre du panthéisme est plutôt l’explication qu’il donne des rapports de Dieu et du monde. Le jour où Dieu a été connu comme infini, un problème s’est posé que les anciens philosophes grecs n’avaient pas connu. Le monde et l’homme ne peuvent ni coexister avec Dieu sans le limiter et par conséquent le détruire, ni exister en lui sans s’y absorber et s’y perdre. Si c’est être panthéiste que de concevoir Dieu comme immanent au monde et inséparable de la nature, il ne faut pas hésiter à dire que Spinoza est panthéiste. Mais si ce n’est pas être panthéiste que de concevoir à l’origine des choses un principe unique, infini, tout puissant et parfait, doué de raison, de conscience et en un certain sens de liberté, distinct du monde au moins comme la substance diffère de ses modes et la cause de ses effets, capable de s’intéresser aux événements de ce monde et de se révéler à lui pour y faire régner la justice et la charité, alors il faut dire que Spinoza n’est pas un panthéiste ; à vrai dire il ne paraît pas que Spinoza se soit posé expressément le problème de la personnalité divine : il sait bien qu’il contredit la croyance traditionnelle en concevant [