Page:Brochard - Études de philosophie ancienne et de philosophie moderne.djvu/402

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nous sommes ici en présence d’une philosophie toute nouvelle, d’une manière de penser très différente de celle qui a inspiré les premières parties de l’Éthique. L’auteur a beau rester fidèle à sa méthode et continuer la série de ses propositions, de ses corollaires et de ses scholies, nous sommes bien loin des idées claires et distinctes du début, et, par exemple, de la conception toute mécaniste de la deuxième partie de l’Éthique. La communication directe de l’âme avec Dieu, la définition de la béatitude et du salut, surtout la théorie de l’amour intellectuel de Dieu ne ressemblent guère aux déductions rigoureuses auxquelles nous étions habitués. Il semble bien, d’ailleurs, qu’on soit ici en présence de la pensée essentielle du philosophe : c’est là qu’il voulait en venir, et tout ce qui précède n’a eu d’autre but que de nous préparer peu à peu et de nous amener, par une sorte de contrainte intellectuelle, à ces conclusions inattendues. Or, si l’on veut bien y regarder attentivement, on s’aperçoit bientôt que ces conclusions présentent les plus grandes ressemblances avec celles des philosophes anciens. La théorie d’après laquelle la connaissance des idées adéquates nous introduit en quelque sorte dans l’absolu et nous fait participer à la vie éternelle, nous rappelle naturellement le passage célèbre de l’Éthique de Nicomaque, où Aristote montre que, par l’acquisition de la vraie science, nous pouvons ressembler à Dieu et participer à l’immortalité, ¢qanat…zein ; en lisant la définition de la béatitude et du salut, surtout la théorie de l’amour intellectuel de Dieu, comment ne pas penser aux pages de Plotin et de tous les alexandrins sur l’extase et la communication immédiate de l’âme avec Dieu ? L’ouvrage commence par une doctrine toute nouvelle et s’achève par une conception empruntée à la philosophie ancienne. Envisagé sous cet aspect, le spinozisme apparaît comme un édifice très ancien auquel on aurait ajouté un vestibule tout moderne. Ainsi, malgré le dédain avec lequel il parle quelquefois des philosophes grecs, Spinoza a subi leur influence beaucoup plus qu’il ne se l’avoue à lui-même. On a déjà montré que toute une partie de l’Éthique s’inspire directement du stoïcisme, et nous savons qu’en effet Spinoza avait lu Épictète et les lettres de Sénèque. Il faut, semble-t-il, ajouter à cette influence celle [