Page:Brochard - Études de philosophie ancienne et de philosophie moderne.djvu/511

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limites : par conséquent elle n’aboutirait à aucune affirmation. Le scepticisme est une preuve vivante du fait que nous avançons : le sceptique en effet, est une intelligence toujours en mouvement, une attention toujours tendue, qui demande à la pensée elle-même une décision qu’elle ne saurait lui donner. Il ne s’attache à aucune théorie, parce qu’il ne sait pas vouloir. Il délibère toujours parce qu’il est incapable d’arrêter sa pensée par un acte de libre arbitre : il ne la domine pas ; il se laisse dominer par elle. La multitude des opinions qui se présentent à lui, l’écrase, il n’a pas le courage d’en faire une sienne. Cette indécision que nous remarquons en lui serait-elle possible, si les idées avaient la vertu de s’imposer par elles-mêmes ? »

À un point de vue purement logique, il suffit d’un peu d’attention pour voir que penser ou se représenter une chose, et la poser comme réelle, sont deux actes distincts ; car l’un peut avoir lieu sans l’autre. Si on les regarde tous deux comme de nature intellectuelle, encore faut-il bien distinguer ces deux fonctions de l’intelligence. Il faudra un nom particulier pour la seconde. Ce sera, si l’on veut, le mot jugement ; mais dès lors, on devra s’interdire rigoureusement l’emploi de ce terme pour désigner l’opération toute mentale qui consiste à établir des rapports entre des représentations, et qu’on appellera par exemple synthèse mentale. Les logiciens n’ont pas toujours observé cette distinction pourtant si nécessaire.

Mais le jugement ainsi défini, doit-il vraiment être appelé un acte intellectuel ? Si les mots ont un sens précis, il faut dire que penser, c’est avoir présentes à l’esprit certaines idées ou encore unir des idées ou des sensations par un rapport déterminé. Mais le jugement, si on entend seulement par là l’acte d’affirmer, n’est ni une idée, ni un rapport : il n’ajoute pas une idée au contenu de l’idée sur laquelle il porte, car autrement cette idée ne serait plus exactement celle de la chose que l’esprit se représente. Avant comme après l’affirmation, l’idée reste exactement ce qu’elle était. Il y a quelque chose de nouveau pourtant ; mais ce qui est survenu n’est pas un élément de représentation ou de pensée proprement dite : c’est un acte d’un tout autre ordre, qui dans la conscience donne à l’idée, objet de l’affirmation, une position, une forme