Page:Brochard - Études de philosophie ancienne et de philosophie moderne.djvu/513

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Qu’il y ait là une véritable nécessité, mais seulement pour la pensée, c’est ce que personne ne conteste, et ce que nous avons reconnu tout à l’heure. Mais autre chose est la nécessité de penser ou de lier des idées ; autre chose, la nécessité de croire, c’est-à-dire de poser comme vraies absolument les synthèses que l’esprit ne peut rompre. À la rigueur, on peut comprendre une vérité géométrique, sans y croire. Polyénus grand mathématicien, dont parle Cicéron (Acad., II, 33, 106.) , s’étant rangé à l’avis d’Épicure, déclara que toute la géométrie était fausse : il ne l’avait pourtant pas oubliée. Les épicuriens, gens fort dogmatiques d’ailleurs, ne croyaient pas aux mathématiques : les sceptiques en doutaient. Seulement, comme nous n’avons d’ordinaire aucune raison de contester les vérités de cet ordre, nous y croyons en même temps que nous y pensons. Parce qu’il est spontané notre assentiment fait pour ainsi dire corps avec l’idée : et la nécessité de l’idée s’étend en quelque façon à l’assentiment qui l’accompagne. Mais c’est là une illusion psychologique. La croyance, ici même, est autre chose que la pensée ; c’est pour cette raison qu’elle peut survivre à la pensée, et que nous pouvons, comme disait Descartes, tenir encore certaines propositions, pour vraies, après même que nous avons cessé d’y penser, c’est-à-dire d’en apercevoir clairement, et d’en sentir la nécessité.

Dire que croire, c’est vouloir, ce n’est pas dire qu’on croit ce qu’on veut. Personne, en effet, ne soutient que la croyance soit un acte de volonté arbitraire, et ne soit qu’un acte de volonté. Il faut des raisons à la croyance, comme il faut des motifs à la volonté. Croire pourtant, c’est vouloir, c’est-à-dire s’arrêter à une idée, se décider à l’affirmer, la choisir entre plusieurs, la fixer comme définitive, non seulement pour notre pensée actuelle, mais pour toujours et pour toute pensée. C’est assurément faire autre chose que de se la représenter.

Le philosophe qui a soumis la théorie de la croyance volontaire à la critique la plus serrée et la plus vigoureuse, est M. Paul Janet : nous ne saurions passer sous silence les arguments qu’il fait valoir avec tant d’autorité : « Il n’y a pas lieu, selon nous, dit-il (Traité élémentaire de philosophie, p. 278, Paris, Delagrave, 1880.), de confondre l’affirmation et la volition.