Page:Brochard - Études de philosophie ancienne et de philosophie moderne.djvu/519

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en dernière analyse, est un fait intellectuel ; ou du moins, si elle ne l’est pas, si avec Spinoza on persiste à l’attribuer à la volonté, il faudra dire que c’est aux seules lois de la pensée qu’elle obéit ; le rôle de la volonté sera tellement réduit qu’en réalité il sera supprimé : c’est bien là qu’aboutit la théorie de Spinoza.

Cette conclusion serait invincible si on pouvait prouver qu’une idée, capable de faire obstacle à une idée donnée, n’apparaît jamais dans la conscience que sous certaines conditions logiques ou empiriques, mais soumises à une rigoureuse nécessité, et telles que la volonté n’ait sur elles aucune action. Or, c’est précisément le contraire qui paraît vrai. Quelle que soit l’idée qui apparaisse, on peut toujours faire échec à la croyance qui tend à naître en évoquant simplement le souvenir des erreurs passées. Il n’est pas besoin d’attendre qu’une idée amène à sa suite les idées particulières qui lui seraient antagonistes, ce qui, en bien des cas, pourrait être long : une idée, une synthèse quelconque peuvent toujours être tenues en suspens par cette seule raison que nous sommes faillibles : cette raison est toujours prête, ou du moins nous pouvons la susciter à volonté : elle peut servir à toutes fins : elle est comme le factotum du doute. C’est pourquoi on peut hésiter avant d’admettre les propositions mathématiques les plus évidentes. Même le doute méthodique n’est pas autre chose. Avoir toujours par-devers soi ce motif de douter, et l’opposer à toute croyance qui commence à poindre, voilà le seul procédé que la sagesse recommande pour nous mettre en garde contre l’erreur.

Il y a plus. Indépendamment de cette raison constante de suspendre son assentiment, il est certain qu’on peut toujours en cherchant bien, en trouver d’autres plus particulières et plus précises, qui, le doute une fois ébauché, viennent lui prêter appui. Quelle est la vérité qu’on n’ait jamais contestée ? Quel est le paradoxe en faveur duquel on ne puisse trouver des raisons spécieuses ? c’est le fait que, depuis longtemps, les sceptiques ont signalé dans leur fameuse formule : panti logô logos antikeitai (« À tout argument, s’oppose un argument contraire », Sextus Empiricus, Hypotyposes, I, 6.). Qu’on ait tort ou raison d’agir ainsi, peu importe pour le moment : c’est un fait que nous constatons. Mais s’il dépend toujours de nous de faire équilibre à