Page:Brochard - Études de philosophie ancienne et de philosophie moderne.djvu/533

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lorsqu’il considérait l’impératif catégorique comme inspiré par le Décalogue. Il n’est peut-être pas sans intérêt de remarquer, en outre, que, de tous les philosophes, Kant est le seul qui ait posé la question en ces termes. Descartes, ainsi qu’on peut le voir dans ses Lettres à la princesse Élisabeth, ne pose pas le problème moral autrement que ne l’avaient posé les anciens philosophes grecs. C’est encore le même esprit qui anime la morale de Malebranche. Quant à Spinoza, il a vu plus nettement que personne la différence que nous avons signalée. Il distingue, en effet, la morale de l’obéissance de la morale philosophique. Ce n’est pas qu’il y ait entre l’une et l’autre une opposition radicale ; bien au contraire, la morale de l’obéissance, celle qui fait dépendre toutes les règles de la conduite humaine d’un ordre de Dieu, est l’expression de la morale véritable, mais appropriée au vulgaire, mise à la portée de l’imagination. Les même actions qui sont bonnes ou mauvaises au point de vue absolu, le sont encore au point de vue relatif. Les deux morales se suivent et se correspondent à peu près comme un corps est suivi par l’ombre qu’il projette.

« Car, dit-il, la nature n’a appris à personne qu’il doive à Dieu quelque obéissance ; personne même ne peut arriver à cette idée par la raison ; on ne peut y parvenir que par une révélation confirmée par des signes. Ainsi, avant la révélation, personne n’est tenu d’obéir au droit divin qu’il ne peut pas ne pas ignorer. Il ne faut donc aucunement confondre l’état naturel et l’état de religion ; il faut concevoir le premier sans religion et sans loi, et conséquemment sans péché et sans injustice, comme nous l’avons déjà fait voir en confirmant notre doctrine par l’autorité de Paul. Ce n’est pas seulement à cause de notre primitive ignorance que nous concevons que l’état naturel a précédé le droit divin révélé, mais aussi à cause de l’état de liberté où naissent tous les hommes. En effet, si les hommes étaient tenus naturellement d’obéir au droit divin, ou si le droit divin était un droit naturel, il eût été superflu que Dieu fît alliance avec les hommes et les liât par un pacte et par un serment. » (Traité théologico-politique, ch. XVI)