Page:Brochard - Études de philosophie ancienne et de philosophie moderne.djvu/536

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une morale purement scientifique et rationnelle. Sans manquer au respect dû à ces idées, sans méconnaître à aucun degré leur valeur et leur autorité, sans contester même qu’elles sont peut-être pratiquement indispensables à la conduite des hommes, on reconnaîtrait néanmoins que c’est sous une tout autre forme que, prises en elles-mêmes, la raison et la science doivent envisager les principes de la morale. En effet, pour la raison et la science, le but suprême de toute recherche éthique doit être le bien, le souverain bien entendu comme l’entendaient les Grecs, inséparable du bonheur. Il n’y aurait d’ailleurs, ainsi que le remarquait si profondément Spinoza, aucune contradiction pour le fond entre la morale rationnelle et la morale théologique. On retrouverait dans l’une ce qui est dans l’autre. Ce serait une seule et même vérité exprimée sous deux formes différentes. Il y aurait, non pas deux morales, mais une seule morale présentée, d’une part telle que la conçoivent la raison et la science, d’autre part telle que se la représentent plus facilement l’imagination et la croyance populaires.

Si cette manière de comprendre les rapports de la morale et de la théologie en les distinguant sans les opposer est préférable à celle qui confond la science et la théologie, ce n’est pas le moment de l’examiner. Il y faudrait trop de temps et aussi des recherches trop longues. Car c’est l’œuvre même de la constitution de la morale qui est ici en cause. Nous avons voulu seulement dans le présent travail appeler l’attention sur un aspect trop négligé du problème moral.

À l’époque où nous sommes, on cherche de tous côtés et dans tous les pays à constituer une doctrine morale, satisfaisante pour l’esprit et présentant un caractère scientifique. Dans notre enseignement en particulier, et à mainte reprise, il s’est manifesté quelque incertitude et même une sorte de désarroi. On n’enseigne plus dans son intégrité la morale de Kant, et la morale que nous a léguée l’école éclectique, combinant des éléments kantiens avec des éléments anciens, ne présente peut-être pas toute la cohésion désirable. On en trouverait la preuve dans le livre, d’ailleurs très beau, de Paul Janet : La Morale.

Dans cette mêlée un peu confuse d’idées et de doctrines