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NOTICE SUR LA VIE ET LES ŒUVRES

Descartes, mais qui pour eux ne différait point du pur matérialisme, selon laquelle la vie du corps se réduit à un simple mécanisme. Le moindre organisme vivant ne peut s’expliquer sans un principe qui en assemble les éléments, en assure le développement, en maintient l’unité, en répare les brèches. Ils étaient ainsi amenés à concevoir, entre l’âme pensante et le corps, un principe mitoyen participant à la fois de l’une et de l’autre, immatériel mais non spirituel, servant à l’âme d’intermédiaire et comme de ministre, et présidant à toutes les fonctions de la vie organique. Telle fut la thèse du vitalisme soutenue avec éclat par l’École de Montpellier.

M. Bouillier n’approuvait point qu’on multipliât les âmes sans nécessité ; une seule lui suffisait pourvu qu’elle fût bien définie, et il entreprit d’abattre le triumvirat de l’École vitaliste. Il prit en main la cause de l’animisme. C’est la même âme, selon lui, qui pense et qui organise le corps. Il faut seulement distinguer deux facultés dans cette âme : la pensée accompagnée de conscience, l’instinct qui en est privé. Les deux écoles étaient d’accord sur l’essentiel, puisqu’elles combattaient avec une égale ardeur le matérialisme et que, d’autre part, elles distinguaient avec une égale netteté la pensée et la vie. Elles différaient en ce que l’une donnait le nom de substance ou de principe à ces fonctions mêmes, tandis que l’autre les considérait comme les manières d’être ou les puissances d’un sujet unique ou d’une force, d’une activité qui seule mérite d’être appelée une âme. Toute la différence portait sur le mot de substance que les deux Écoles s’accordaient à employer sans peut-être le définir suffisamment. Ainsi, selon M. Bouillier, se rétablissait l’unité compromise de l’âme humaine.

Loin de prétendre à l’originalité et de se poser comme un novateur, M. Bouillier, par une série de recherches historiques conduites avec un soin et un scrupule irréprochables, s’attacha à démontrer que l’animisme avait été, avant Descartes et même encore après lui, la doctrine des plus grands philosophes, celle d’Aristote, de Saint-Thomas et enfin de Leibniz. Puis, reprenant pour son propre compte la doctrine soutenue par tant de grands esprits, il la justifiait directement par l’observation, l’induction, toutes les formes de raisonnement. Toutes les difficultés que soulève une telle doctrine, il les prévoyait, les discutait, les résolvait. Tous les arguments que ses adversaires invoquaient contre elle, il y répondait et les réfutait. Sa dialectique, toujours lucide, toujours loyale, toujours courtoise, est si pressante que parfois il semble qu’il ait trop raison et l’on est tenté de