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NOTICE SUR LA VIE ET LES ŒUVRES

un grand livre d’histoire, en deux volumes, l’auteur l’avait complété et enrichi de nombreuses recherches nouvelles. On y trouve un exposé complet et lumineux de la doctrine cartésienne considérée non pas seulement dans l’abrégé que le Discours de la Méthode a vulgarisé, mais telle qu’elle apparaît dans les Méditations et les Principes, c’est-à-dire comme un vaste système de philosophie qui embrasse l’ensemble des choses et aspire à rendre compte de l’univers tout entier. L’auteur montre ensuite comment la pensée du maître a été modifiée, transformée par les disciples ; et on aperçoit les liens étroits qui rattachent à Descartes les systèmes d’un Spinoza, d’un Malebranche, d’un Leibniz et de tant d’autres. Mais ce n’est pas seulement sur les philosophes, c’est sur la littérature tout entière au xviie et au xviiie siècles, en France et à l’étranger, que s’est exercée l’influence cartésienne, soit directement, soit par les réactions qu’elle a provoquées. M. Bouillier s’est attaché à suivre tous les effets de cette action si profonde ; et il l’a fait dans un livre d’une belle ordonnance, d’un style toujours élégant et clair, érudit sans lourdeur, complet sans surcharges, et où la scrupuleuse exactitude de l’historien égale la pénétration et la sûreté du philosophe. Ce fut son œuvre de prédilection. Il y travailla toute sa vie avec amour. Sa curiosité, toujours en éveil, mettait à profit tous les travaux particuliers publiés en France et à l’étranger. À chaque nouvelle édition, et elles furent nombreuses, on constatait un nouveau progrès. Par un patient labeur et de minutieuses investigations, l’ouvrage se complétait et s’acheminait vers le plus haut point de perfection. Il semble même qu’à force de vivre familièrement avec Descartes, M. Bouillier se soit de plus en plus imprégné de son esprit. Certes il n’avait pas abandonné ses doctrines personnelles, ni abdiqué son indépendance ; mais, à mesure qu’il avance, il semble que sa pensée se rapproche de plus en plus de celle de son modèle, ou plutôt, c’était sans doute une certaine affinité de nature qui l’avait attiré vers l’œuvre du grand philosophe français. Il avait, comme lui, le goût des idées claires, de la méthode rigoureuse, des faits exacts. En étudiant jusque dans ses plus menus détails la philosophie cartésienne, il se sentait, en quelque sorte, dans son propre domaine ; il s’y trouvait à l’aise et, non content d’en être l’historien, il finit par en être comme le représentant et le continuateur parmi nous. Il souriait quand ses amis l’appelaient, en souriant, le dernier des cartésiens.

En 1864, commence une nouvelle période dans la carrière de M. Bouillier. M. Duruy était devenu ministre de l’Instruction