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PHILOSOPHIE ANCIENNE

de choisir quelque pensée dans un vieux poète, de la développer, de la commenter et d’en tirer souvent les conséquences les plus singulières et les applications les plus inattendues. Or contre ces jeux d’esprit alors si répandus et si fréquents Platon s’élève sans cesse avec la plus grande énergie. On sent tout son mépris pour ces vaines divagations. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire entre autres le Phèdre et le Protagoras. Comment croire que Platon soit tombé précisément dans le défaut qu’il reproche à ses contemporains et qu’il ait revêtu ses propres pensées de cette forme poétique qu’il proscrit partout où il la retrouve, et qui lui semble, à elle seule, une marque d’erreur et de fausseté ? Il faut donc que partout où le caprice de Platon s’est joué à quelque vision poétique, nous soyons avertis que ce n’est là qu’un jeu, et on doit écarter de sa philosophie, si l’on veut la saisir en elle-même, tout ce qui n’est pas sévèrement démontré et rigoureusement établi. L’imagination est suspecte partout où elle se manifeste. En procédant avec cette rigueur, on arrive, comme l’a montré M. Couturat, à écarter comme sans valeur une grande partie de la philosophie de Platon. La théorie de Dieu est un mythe ; il en est de même de celle de l’âme et de la doctrine relative à l’immortalité. L’explication de l’univers, telle qu’elle est présentée dans le Timée, n’a rien de platonicien. Seules la théorie des Idées et la théorie des Idées-Nombres qui s’y rattache, et peut-être en fait la suite, méritent considération. Il ne reste que peu de chose du Platonisme, mais au moins ce que nous en avons est solide, démontré, et, comme il est exempt de toute fantaisie, digne du nom de la science.

Cette opinion si simple et si plausible ne parait pas cependant à l’abri de toute contestation, et je serais disposé, pour ma part, à faire les réserves les plus expresses. Je crois bien qu’il faut accorder à M. Couturat que, dans Platon, les théories de Dieu, de l’âme et de l’immortalité, l’explication de la genèse du monde sont mythiques. Mais la question est de savoir si tout ce qui est mythique est, par là même, suspect, et doit être rejeté. Il faudrait s’entendre sur la signification exacte du mot « mythe », et je suis porté à croire que certains mythes expriment la pensée la plus intime de Platon, et que,