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PHILOSOPHIE ANCIENNE

expose la profonde théorie de la vertu qu’il oppose à celle de Socrate, et cette théorie consiste précisément à expliquer la vertu par l’opinion vraie. Il nous est dit, en propres termes, qu’au point de vue pratique, l’opinion vraie produit les mêmes résultats que la science et n’est pas moins utile : οὐδὲν ἄρα ἧττον ὠφέλιμόν ἐστιν ὀρθὴ δόξα ἐπιστήμης. Et le Ménon tout entier, à le bien prendre, par sa théorie de la réminiscence autant que par celle de la vertu, est une apologie de l’opinion vraie.

Il serait aisé de multiplier les exemples et les citations. Partout on verrait que Platon, ayant conçu un idéal de science très haut et très noble, s’est rendu compte que l’esprit humain ne pouvait pas y atteindre, et qu’il doit souvent s’en tenir à cette connaissance intermédiaire, l’opinion vraie, équivalent ou succédané de la science, sorte de pis-aller dont il faut savoir se contenter. Mais encore cette connaissance intermédiaire ne doit-elle pas être méprisée. Elle est connaissance de la vérité et participe au divin, pour ainsi dire, au second degré. C’est un des traits caractéristiques de la méthode de Platon d’avoir partout multiplié les intermédiaires, les moyens termes, si bien qu’il passe d’une manière continue d’une partie à une autre et parvient à tout embrasser. Ces intermédiaires sont d’ailleurs ramenés à l’unité parce qu’ils sont tous soumis à une sorte de mathématique interne, qui, par la proportion, maintient l’unité dans la diversité. C’est ainsi que l’opinion (δόξα) est à la simple conjoncture (εἰϰασία) ce que la connaissance intuitive (νοήσις) est à la science discursive (διάνοια) [Rép., VI, 511] et ces divisions (τιμήματα) dans la théorie de la connaissance correspondent exactement aux divisions de la théorie de l’être. La science est à l’opinion ce que l’être est au devenir. L’opinion vraie est la science du devenir.

Cette place faite à l’opinion vraie, au vraisemblable, dans le système de Platon était en quelque sorte exigée par l’ensemble de la doctrine. Étant donnés, d’une part, la distinction de l’être et du devenir empruntée à Parménide et à Héraclite ; d’autre part, l’idée que Platon se fait de la science, il était impossible que le devenir ou le monde de la génération fût objet de science. Par essence et par définition, en effet, il est,