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QUATRIÈME PARTIE

secteur, où j’aurais l’occasion d’exercer mon dévouement. Toute heureuse, j’ai accepté. Ma mère était bien un peu fâchée.

Je n’ai pas de sots préjugés, lui dis-je, partout où je serai, je sais que je me ferai respecter (cela était vrai, j’ai été respectée). Voilà comment j’ai fait partie de la Garde Nationale.

Quelques jours après il y eut à l’Esplanade des Invalides une grande revue, j’y fus conviée et présentée officiellement au 17me bataillon, et à la septième compagnie, de laquelle je fis partie désormais. C’est ainsi que j’obtins un poste de combat.

À partir de ce jour j’ai fait mon devoir. Pour cela je n’ai jamais délaissé ni ma mère, ni les enfants. Notre vie était difficile, cependant je pensais que j’étais encore une favorisée du sort, je voyais tant de souffrances autour de moi, tant de pauvres enfants à demi vêtus, sans chaussures sur la terre humide et froide, allant au bois où l’on commençait à saper nos beaux arbres séculaires ; on levait la cognée pour les abattre, ensuite on les mettait en lots de différentes dimensions. Les vrais miséreux allaient ramasser les brindilles pour se réchauffer, mais quel bois ? C’était affreux, nous étions près de l’hiver, le bois vert ne pouvait s’enflammer, il y avait dans les chambres une fumée atroce qui aveuglait, la respiration était haletante, lorsqu’il fallait faire cuire à manger, c’était épouvantable ; il n’y avait plus de charbon de bois, naturellement les ouvriers même aisés ne pouvaient faire de grandes provisions ; à Paris, c’est difficile,