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CINQUIÈME PARTIE

Ville, tout le monde avait l’air en fête, et ce pauvre Paris qui a toujours besoin de clinquant, nous donnait le spectacle d’un magnifique défilé militaire de la ligne, des gendarmes allant à Versailles, qui, avec des caisses, des malles, des paquets sur leurs épaules, emportant avec eux argent et archives ; et qui plus est, tous ces gaillards allaient renforcer les bataillons des Thiers & Cie, lesquels en réalité étaient en désarroi, en ce moment-là.

On dit que le peuple est méchant et cruel, moi je dis qu’il est bête, c’est toujours le pauvre oiseau qui se laisse plumer, et cette fois vraiment, il le fit bêtement, stupidement.

Les citoyens étaient si naïfs qu’ils croyaient sincèrement faire œuvre de gloire en se hissant sur l’impériale des omnibus, lançant des programmes en profusion, en faveur du mouvement communaliste. Car il ne faut pas s’y tromper, ce que le peuple réclamait alors c’était ses franchises municipales ; il pensait qu’ayant son libre arbitre, sans autorité gouvernementale, il arriverait à une transformation sociale ; les plus avancés espéraient se fédérer dans un temps plus ou moins proche.

Je vois encore ce brillant défilé ; quelques pauvres diables de lignards se retournaient, attrapaient au vol ces morceaux de papier insignifiants, quelques-uns avaient eu l’idée d’entonner un couplet de la Marseillaise, lorsque des officiers se mirent à crier : « Sacré nom de D…, marcherez-vous espèce de brutes ! » La foule se contenta de rire et de siffler les galonnés.