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SOUVENIRS D’UNE MORTE VIVANTE

jumelle, d’un couteau et d’un gobelet, le tout acheté au bazar à treize sous, rue de Rivoli. Quand tout fut fini, nous partîmes pour la caserne, en chantant, quoique nous eussions la mort dans l’âme, nous pensions à nos pauvres amis que nous laissions sur ce sol labouré par des obus versaillais. « Si nous mourons, disions-nous, mieux vaut mourir en chantant. » Nous narguions la mort qui n’avait pas voulu de nous.

Lorsque nous quittâmes les tranchées, il faisait nuit. Nous arrivâmes à une passerelle qu’on avait jetée sur le fossé des fortifications, mais lorsque nous fûmes engagés sur cette passerelle, elle cassa et un grand nombre d’entre nous (et moi parmi eux) tombèrent dans le fossé ; plusieurs furent blessés légèrement, un officier eut trois côtes enfoncées en tombant sur les fusils des camarades ; il ne faisait pas clair, il était difficile de se tirer de là ; enfin on alluma des fanaux et encore une fois nous dûmes nous extriquer, personne ne fut gravement atteint, moi j’eus le bonheur de tomber un des derniers, je ne me fis aucun mal. C’est ainsi que nous rentrâmes à Paris.