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SOUVENIRS D’UNE MORTE VIVANTE

la Bastille, côté pair, était en flammes. De tous les côtés la mitraille nous assaillait.

Nous cherchions à rallier quelques amis sur la place. L’idée me vint de hisser notre drapeau sur le sommet de la barricade du centre pour les rappeler à nous. La place en cet instant avait quelque chose de magique, d’infernal, digne de l’enfer de Dante. Cette place était sublime d’horreur, un vent terrible vint à souffler, un soleil brillant nous éclairait ; la mitraille, les balles et tout le tintamarre d’un effroyable combat sévissaient de tous côtés. Des nuages de poudre se répandaient dans le ciel azuré. Des maisons étaient incendiées par des obus envoyés par l’armée versaillaise ; du milieu de cet embrasement sortait comme une apothéose le génie de la liberté affranchissant le monde.

Lorsque nous montâmes sur la barricade je m’empressai de faire flotter notre drapeau, un de mes amis voulut me suivre, entendit un bruit sourd se diriger de mon côté, il voulut pour m’éviter la balle fatale qui devait m’atteindre me tirer de côté, ouvrit les lèvres pour me dire : V… ! La balle lui coupa la parole, pénétra par la bouche, il fut foudroyé.

Nos ennemis visaient le drapeau que j’avais hissé, je puis dire : il est mort à ma place. Le jeune homme tué à mes côtes était un fils de bonne famille, un Zouave d’Afrique. Ayant fait la campagne de 1870 avec Garibaldi, dans l’armée de la Loire, après la signature du traité de paix avec la Prusse, comme beaucoup d’autres, il était à la dérive ; il vint avec plusieurs braves défenseurs de la France, offrir son