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SOUVENIRS D’UNE MORTE VIVANTE

étaient tués sans qu’on se rendît compte d’où partaient les coups. Enfin, on s’aperçut que le corps principal était envahi par derrière et par dessus. Nous arrivions au moment où l’on constatait le fait, nous pénétrâmes dans l’intérieur. On nous fit voir approximativement toutes les richesses de victuailles, emmagasinées dans ce sanctuaire. On se rappelle combien de pauvres êtres sont sous terre, morts de faim et de misère, tandis que dans ce grenier il restait encore entassé des blés et des denrées de toutes sortes, de quoi soutenir un troisième siège. Les fédérés se voyaient perdus n’ayant plus devant eux que la Seine, où ils n’avaient pas même l’espérance de se sauver, car là aussi, il y avait des Versaillais pour les traquer. Réduits au désespoir, et ne voyant nulle issue qu’en arrêtant par une barrière infranchissable, la poursuite de ceux qui, invisibles, leur tiraient dessus de tous côtés, ils se décidèrent enfin à mettre le feu à cet immense bâtiment, dont les murs intérieurs étaient déjà perforés ; un massacre épouvantable aurait été perpétré par les troupes si les insurgés n’avaient eu recours à cette mesure extrême. Mourir dans les flammes n’était pas pire que d’être mis en morceaux ou fusillés.

Quand à nous, nous n’avions fait qu’une courte apparition au boulevard Bourdon, nous avions espéré y trouver des nôtres. N’ayant vu aucun ami, nous revînmes à la Bastille. Toujours portant le drapeau, je suis allée avec mes amis à Picpus ; nous n’avions qu’une pièce de canon que traînaient les camarades, on tirait sur nous du côté du couvent ; alors ils mirent