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SIXIÈME PARTIE

Enfin j’arrive au Pont des Saints Pères ; dans quelques minutes je vais voir ma mère, me dis-je. « Je serai chez moi. » Quoique fatiguée, je reprends courage et je hâte le pas. Je suis sur le quai Voltaire ; plus qu’un instant et j’embrasserai ma mère.

Me voilà à l’entrée de la rue de Beaune, j’avance de quelques pas, tout parait triste et lamentable, je suis au coin de rue de Lille et de la rue de Beaune où se trouvait une boulangerie ; c’était dans cette maison qu’habitait ma mère, j’ouvre la porte, le boulanger en me voyant est tellement effrayé qu’il me regarde d’un air fou :

— Ce n’est pas vous, vous n’êtes pas Mme R. on l’a fusillée, sortez !

— Mais où est ma mère ? lui demandai-je.

Au bout de quelques instants il me reconnut et me répondit :

— Je ne sais pas.

C’est tout ce que j’ai pu obtenir de lui.

De là, je vais chez mon ancienne épicière dans la rue de Beaune, j’entre dans la boutique, la marchande est à son comptoir, elle a l’air épouvantée en me voyant, elle s’écrie :

— Je n’y puis rien comprendre puisque on vous a fusillée, vous n’êtes donc pas morte ? Partez, partez vite, vous avez été condamnée à mort par la cour martiale du 7me secteur, on vous croit morte, si vous êtes reconnue ils vont vous fusiller, ici, devant nous. Allez où vous voudrez, mais qu’on ne vous tue pas devant nous dans cette rue maudite.