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SOUVENIRS D’UNE MORTE VIVANTE

me un chien couché, je me suis mise à aider notre bienfaiteur aux soins du ménage ; lui faisait la popote, moi je mettais un peu d’ordre aux habits, lesquels en avaient grand besoin.

Le maître de céans me présenta comme sa fille revenant de province, aux allants et venants, des curieux, tels que voisins, voisines et militaires qui venaient à toute heure faire des rondes dans toutes les maisons du quartier. Par ce stratagème, j’ai pu juger de la valeur morale et toute chrétienne de l’armée versaillaise, sur leurs propres concitoyens. Des lignards et autres venaient nous offrir des couvertures en laine pour 2 francs la paire, un autre une montre en or pour 5 francs. Je ne pus m’empêcher de dire à l’un d’entre eux en riant :

— Vous avez donc dévalisé les passants pour offrir de telles choses et à un tel prix ?

« Non, me dit-il, mais on trouve ça par terre, dans la rue ; si ce n’est pas moi qui le ramasse, ce sera un autre, moi je ne tiens pas à ces bibelots, j’aime mieux de l’argent. » Naturellement nous n’avons rien acheté.

J’ai vu des cadavres pieds nus en quantité ; cela paraissait si naturel qu’en passant un soldat quelconque regardât les pieds d’un mort et dît : « Le copain, il a des souliers plus chics que les miens. » Si la pointure correspondait à la sienne, il se déchaussait, retirait les souliers du mort, les mettait à ses pieds, laissait ses Godillots à côté du cadavre.

Les camarades s’ennuyaient dans leur taudis ; pendant plusieurs jours ils n’osèrent bouger. À toute