Page:Brontë - Jane Eyre, I.djvu/100

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ce que fait le maître de dessin des demoiselles Reed. Livrées à elles-mêmes, elles ne pourraient approcher de cela ; et avez-vous appris le français ?

— Oui, Bessie, je peux le lire et le parler.

— Savez-vous broder et faire de la tapisserie ?

— Oui, Bessie.

— Alors vous êtes tout à fait une dame, mademoiselle Jane ; je savais bien que cela devait arriver. Vous ferez votre chemin en dépit de vos parents. Ah ! je voulais aussi vous demander quelque chose : avez-vous jamais entendu parler de la famille de votre père ?

— Jamais.

— Eh bien ! vous savez que madame disait toujours qu’ils étaient pauvres et misérables. Il est possible qu’ils soient pauvres, mais je certifie qu’ils sont mieux élevés que les Reed. Il y a sept ans environ, un M. Eyre est venu à Gateshead ; il a demandé à vous voir ; madame a répondu que vous étiez dans une pension éloignée de cinquante milles. Il a eu l’air très contrarié, car, disait-il, il n’avait pas le temps de s’y rendre ; il partait pour un pays très éloigné, et le bateau devait quitter Londres dans un ou deux jours. Il avait tout à fait l’air d’un gentleman ; je crois qu’il était frère de votre père.

— Et vers quel pays allait-il, Bessie ?

— Il allait dans une île qui est à plus de trois cents lieues d’ici et où l’on fait du vin, à ce que m’a dit le sommelier.

— Madère ? demandai-je.

— Oui, c’est cela ; c’est juste ce nom-là.

— Et alors, il partit ?

— Oui, il n’est pas resté longtemps dans la maison ; madame lui a parlé très impérieusement, et derrière son dos, elle l’a traité de vil commerçant. Mon mari pense que c’est un marchand de vins.

— Très probablement, répondis-je, ou un agent dans quelque compagnie pour les vins. »

Bessie et moi nous causâmes du passé pendant une demi-heure encore. Puis elle fut obligée de me quitter.

Le lendemain matin, je la vis quelques minutes à Lowton pendant que j’attendais la voiture ; nous nous séparâmes devant la maison de M. Brockelhurst.

Chacune de nous se dirigea de son côté ; elle alla rejoindre la diligence qui devait la mener à Gateshead, tandis que je montais dans celle qui allait me conduire vers une nouvelle vie et des devoirs nouveaux, dans les environs inconnus de Millcote.